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pas ? On dut ne point oser. En tout cas, l’homme du monde et le chrétien, la courtoisie et la charité ont ensemble rédigé ce projet de lettre à une dame de la Croix Rouge touarègue.

Nous voyons ici, pour la première fois, se manifester le vœu, encore secret, que formait Frère Charles, de pénétrer jusqu’aux régions habitées par les Touaregs, et de gagner à la civilisation chrétienne, puis à la religion chrétienne, ce peuple de race berbère qu’on disait fier, intelligent et beaucoup moins fanatique que l’Arabe.

Charles de Foucauld avait sûrement entendu parler des Touaregs par Duveyrier, à Paris, à l’époque où il rédigeait les notes de la Reconnaissance au Maroc ; il vivait parmi les officiers d’Afrique, les gens de l’oasis, les caravaniers, colporteurs de l’histoire et de la légende des tribus ; enfin, récemment, il s’était entretenu avec le commandant Laperrine, que hantait le rêve militaire et poétique du grand royaume franc, d’une Afrique renouvelée par le génie de la France, et ils avaient parlé du Hoggar autant que du Tidikelt et de Tombouctou. Partout où l’officier avait souhaité que la France s’établit, civilisatrice dans la paix durable, — que ces causeries, dont rien ne demeure, devaient être belles ! — Frère Charles s’était promis de porter la prière et la charité de la nation missionnaire. Laperrine l’avait persuadé ; le diaire en porte ce témoignage :

« Fête de sainte Marie-Madeleine. — Voyant que, par suite des persécutions religieuses, le R. P. Préfet Apostolique ne peut envoyer aucun prêtre chez les Touaregs, ni au Tidikelt, Touat, Gourara, ni dans la Saoura, Zousfana, j’ai, le 24 juin, écrit à Mgr Guérin, pour lui demander la permission d’aller, — en attendant qu’il puisse y envoyer des prêtres, — m’installer chez les Touaregs, aussi au cœur du pays que possible ; j’y prierai, j’y étudierai la langue et traduirai le Saint Evangile, je m’y mettrai en relations avec les Touaregs ; j’y vivrai sans clôture. Tous les ans, je remonterai vers le Nord me confesser [1]. Chemin faisant, j’administrerai les sacrements dans tous les postes, et je causerai du bon Dieu sur mon passage, avec les indigènes. Je réserve l’autorisation de M. Huvelin...

« 29 juin. — J’écris au commandant Laperrine, lui communiquant

  1. « Il y aura deux ans en octobre que je ne me suis confessé. » « Lettre à un ami, 16 mars 1903.)