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qui vivent dans le domaine de la France. Comme le dit bellement le Hollandais cité tout à l’heure, « il faut que l’annexion matérielle soit suivie de l’annexion spirituelle. » Or c’est là un vœu qu’on peut former sans être catholique. Du jour où le musulman comprendra la beauté du catholicisme, il aura compris la France ; et dans la mesure où il admirera la charité chrétienne, il nous aimera.

Est-ce à dire qu’il faille chercher à convertir les musulmans, et à faire d’eux des chrétiens ? La formule serait ambiguë ; elle ne préciserait point de quelle manière lente, douce et fraternelle une telle conversion, si Dieu le permet, doit s’accomplir. Mieux vaut dire ceci : il faut que la France, chargée d’une nombreuse famille coloniale, prenne enfin conscience de toute sa mission maternelle, et que les musulmans, comme les païens, sujets d’une grande nation catholique par son histoire, par son génie, par toute son âme et par ses épreuves mêmes, puissent connaître le catholicisme, et y venir, s’ils le veulent.

Du moins, ils le connaîtront, et d’abord par sa charité. C’est elle qui sera l’ambassadrice. Qu’on la laisse donc aller vers eux ; qu’elle ne soit pas entravée, soupçonnée, mais amicalement soutenue. Nous sommes, dans notre propre domaine, en présence d’un peuple immense, tout pétri d’erreurs, de colères entretenues depuis des siècles, de rancunes également dont plusieurs sont fondées. La première œuvre à faire est « d’apprivoiser les musulmans, » selon l’expression chère au Père de Foucauld, et à son ami le général Laperrine, qui conduisit si souvent, dans le désert, des « tournées d’apprivoisement. » Les fonctionnaires, les officiers peuvent avoir un rôle magnifique. Que par eux la justice de la France, c’est-à-dire la justice chrétienne ; la bonté de la France, c’est-à-dire la bonté chrétienne, apparaisse à ces hommes qui n’ont pas soif que de l’eau des puits. Mais que la charité ingénieuse et forte, celle qui connaît, depuis deux mille ans, toute douleur humaine, soit libre aussi de consoler, de soigner, de guérir, et de durer, comme dure le mal et comme dure la souffrance, en se renouvelant. Qu’elle puisse fonder ses salles d’asile et ses écoles, ses dispensaires et ses hôpitaux, ses orphelinats de jeunes gens et de jeunes filles, ses maisons de retraite pour les vieux qui sont rejetés de tous ! Elle recevra la misère sans certificat de bonne vie et mœurs,