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roi. Et ce sont non seulement deux cours, mais deux mondes qui s’affrontent dans les portraits qu’il trace des deux souverains : Charles II, l’Enfant-Roi de l’Escurial, « intelligence attardée d’enfant rachitique, » prisonnier de ses familiers qui lui serinent quelques résolutions, et le jeune Louis XIV, l’homme d’État qui rassemble tout pouvoir entre ses mains, régit la France et, par la France, l’Europe. Symboles, eux aussi, à la fois causes et effets, des âmes différentes et des constitutions physiologiques des deux peuples : l’un décentré par une noblesse hostile et une plèbe famélique, aux velléités violentes et contradictoires, en de perpétuels tiraillements séparatistes, l’autre formé d’une bourgeoisie riche et active qui se serre autour de son Roi, avec le sens profond de l’unité de la France et des droits de l’État.

Est-ce là de la « restitution historique ? » C’est de l’Histoire, et qui ne sera pas moins utile à lire et à méditer, parce qu’elle se manifestera, comme la vie même, par des spectacles dramatiques ou plaisants. Un tableau fort curieux, brossé à l’espagnole, dans la manière de Zurbaran, nous montre une bagarre sanglante, à Madrid, venant expirer sur le perron d’une église de Capucins. Les grondements de l’orgue se mêlent aux vociférations de la canaille, et, soudainement, parmi la pouillerie acharnée à l’assassinat, la venue du Saint-Sacrement, calme la tempête. « Le portail de l’église s’ouvrit au large et tout rutilant d’or dans la chape rituelle le prieur des Capucins parut tenant l’ostensoir... A l’apparition du soleil eucharistique, des cris s’élevèrent aussitôt : « A genoux ! A genoux ! « Déjà des files entières de spectateurs s’étaient prosternées dans la poussière de la chaussée. Mais les coups de feu ne cessaient de s’entrecroiser. Une balle finit par toucher François, qui chancela sur les marches de l’escalier. Derrière lui, le prieur descendait les degrés, élevant très haut l’ostensoir. Il se pencha sur le blessé, et, le soutenant d’un bras, l’enveloppant de sa chape, il tendit devant lui, comme un bouclier, le Saint-Sacrement. Le calme visage de ce vieux moine, transfiguré par l’adoration, exprimait une telle foi, une telle certitude de la Présence divine que, de toute cette cohue enragée de blasphèmes et de carnage, des cris de terreur montèrent avec une exaltation croissante :

— A genoux ! A genoux, les sacrilèges !... »

Ce François, qui échappe ainsi aux assassins, est un gentilhomme catalan, poursuivi par des sbires déguisés en gardes du