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qui n’évoquent à ses yeux les plus belles frises de Suse et de Khorsabad. Les autres travailleurs, de même. « Leur geste affiné par des siècles de labeur intelligent reproduit le geste ancestral comme une tradition glorieuse ! Celui que vous voyez ici, vous le retrouverez inscrit sur les murs des hypogées de Thèbes ou de Memphis, tout pareil, le même, éblouissant de ressemblance et de vérité !... Voici, là-bas, des hommes qui pèsent des arachides avec des balances romaines suspendues à trois pieux fichés en terre ! Les ustensiles, l’attitude des personnages, rien n’a bougé depuis trois mille ans ! Cette scène à laquelle vous assistez en cette minute, elle est peinte sur la coupe d’Arcésilas de Cyrène, qui fut chantée par Pindare ! Ah ! la Méditerranée des Dieux est encore vivante !... »

Ce qui est vrai des gestes, l’est encore bien plus des âmes. Quand nous voulons évoquer la « vie antique, » il ne faut pas prendre garde seulement à ce qui est de « l’antique, » mais aussi à ce qui est de la « vie. » Or rien ne ressemble autant à la vie que la vie même. Si les restitutions qu’on nous fait du passé sont en contradiction avec elle, ce ne sont que « fantaisies d’esthètes, ou lourds cauchemars de bibliothécaires. « Ayant donc cru voir les foules antiques dans les foules orientales, M. Louis Bertrand voulut les faire voir. De là, son incursion dans le roman dit « historique. » Mais il y a porté, avant tout, le souci de la vérité humaine, — celui du bibelot, et comme disait Théophile Gautier, des « bons pots de couleur locale » ne venant qu’en accessoire. Il a situé son action et choisi son héros à telle époque déterminée, qui n’est pas la nôtre, parce que cette action ou ce héros se trouvent avoir manifesté, à cette époque, plus hautement ou plus clairement, une passion ou un idéal, — mais cette passion, c’est-à-dire le sujet même du roman, ou cet idéal demeureraient vrais, en dépit d’erreurs dans la couleur locale.

Ainsi, Sanguis Martyrum est tout autre chose qu’un épisode des dernières persécutions, ou une restitution d’un coin de la vie antique : c’est le conflit de deux hauts sentiments dans une conscience chrétienne de patricien lettré et raffiné, qui voit sombrer l’Empire, la culture et la douce vie auxquelles il était attaché et pourtant ne veut pas leur sacrifier sa foi et son idéal religieux. Le patricien Cécilius cherche à concilier ces deux puissances morales, persuadé, au surplus, que l’une ne pourrait être sauvée que par l’autre et finit par préférer le martyre et la