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L’Empereur, qui avait passé la nuit dans le faubourg nommé Dorogomilow, était venu dans la matinée s’installer dans le palais des Csars.

La nuit venue, et l’Empereur rentré dans sa chambre, chacun de nous pensa à se coucher. Mes compagnons, qui les premiers étaient entrés dans le Kremlin et en avaient pris possession, s’étaient pourvus de tout ce qui leur était nécessaire pour se faire un coucher. Moi, je n’avais rien ; on ne m’avait rien réservé ; mais mon lit fut bientôt composé. Dans un coin de la pièce où nous étions, il y avait un grand pavillon dont le tissu en laine était très mince et très clair. Je le pliai en plusieurs doubles et je me trouvai avoir une espèce de matelas, d’une ligne ou deux d’épaisseur, que j’étendis sur le parquet ; pour oreiller ou traversin, j’avais mon porte-manteau, et mon manteau pour couverture. Je me couchai avec l’espoir de passer une bonne nuit.

Tout était calme dans le palais des Csars, tout était silencieux, chacun dormait profondément, quel que fût son lit. Dans le milieu de la nuit je m’éveillai ; il était peut-être minuit ou une heure. Je n’entendais autour de moi que le bruit du sommeil, l’aspiration et l’expiration. J’ouvre les yeux, je me les frotte, je vois la pièce parfaitement éclairée. Cela me parut extraordinaire. Je me lève, je porte mes pas vers une des fenêtres pour voir d’où provenait la clarté. Je ne fus pas peu étonné de voir la ville en feu, du moins la partie du midi et celle du couchant, nos fenêtres donnant sur la Moskowa et du côté de l’Ouest. C’était une belle horreur. Qu’on se représente une ville, je dirai grande comme Paris, livrée aux flammes, et être sur les tours de Notre-Dame assistant pendant la nuit à un tel spectacle. J’éveillai mes compagnons, disant à chacun qu’il ouvrit les yeux. En un moment, tous furent debout et allèrent regarder au travers des vitres l’immense incendie qui dévorait la ville. Comme il était urgent que l’Empereur fût informé de ce qui se passait, Constant se décida sur le champ d’entrer chez Sa Majesté. Le premier valet de chambre sortit quelques instants, et, ne nous ayant transmis aucun ordre, chacun se recoucha, n’ayant rien de mieux à faire que d’attendre le jour. Nous l’attendîmes avec impatience.

Le jour arrivé, le feu était tout aussi actif que nous l’avions vu la nuit et continuait ses envahissements ; mais il ne produisit