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embrassé le petit Roi, se disposant à passer dans son cabinet, se tourna vers l’Impératrice, en la regardant avec ce sourire aimable qui lui était particulier, et lui dit les deux vers suivants :


Je vais donner une heure aux soins de mon Empire,
Et le reste du jour sera tout à Zaïre.


Les petits princes, fils du roi Louis, et les princesses, filles du roi Joseph, accompagnées de leurs gouvernantes, lorsqu’ils venaient faire leur cour à l’Empereur, baisaient la main de leur oncle et ensuite l’embrassaient ; ils embrassaient également l’Impératrice. C’était ordinairement à son déjeuner que Sa Majesté les recevait. L’Empereur aimait beaucoup à questionner ses neveux et nièces sur ce qu’ils avaient appris depuis qu’il ne les avait vus, surtout le prince Napoléon et la princesse Zénaïde.

M. Denon, qui venait de temps à autre faire sa cour à l’Empereur, était, comme plusieurs autres personnes, reçu au déjeuner. Un jour, il apporta deux petites statuettes, hautes de sept à huit pouces ; elles étaient assises et représentaient l’Empereur et l’Impératrice costumés à l’antique. Celle de l’Empereur était presque nue, car il n’avait qu’un manteau sur les épaules ; celle de l’Impératrice était plus couverte, mais le vêtement laissait voir un sein et les jambes. « Quelle qu’ait été l’idée de l’artiste de me représenter ainsi, dit l’Empereur, je le suis d’une manière trop indécente. Je n’aime pas cela. J’aimerais beaucoup mieux qu’on habillât les gens tels qu’ils sont habituellement que de les affubler d’un costume qui n’est pas le leur. Habillez, continua-t-il, habillez les Grecs et les Romains comme ils l’étaient dans les temps anciens, mais habillez les Français de nos jours comme ils sont au XIXe siècle. Faire autrement est chose ridicule et bizarre. » Les statuettes demeurèrent sur la cheminée pendant le déjeuner et disparurent ensuite. Cette flatterie de M. Denon ne réussit pas. Ce fut, je pense, à l’insu de l’Empereur que la statue de la colonne de la place Vendôme avait été coulée et placée : il me semble bien le lui avoir entendu dire.

Un jour, c’était également au déjeuner, l’Empereur reçut Talma qui lui avait été annoncé. C’était le lendemain d’une représentation de Tippo-Saïb, à laquelle Sa Majesté avait assisté.