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aussi il se faisait longtemps attendre. Peu de moments après que Sa Majesté était à table, paraissait l’Impératrice. Elle donnait un baiser à son mari et s’asseyait à sa droite. C’est moi qui étais chargé de lui avancer un fauteuil. Le plus souvent, quand l’Empereur sortait de son salon, il était accompagné de quelque personnage, ministre ou autre, avec lequel il continuait la conversation jusqu’à l’arrivée de l’Impératrice ; car, celle-ci présente, à un entretien sérieux succédaient les causeries enjouées. Au dessert, le Roi de Rome était annoncé et Mme de Montesquiou suivie d’une sous-gouvernante entrait, ayant le jeune prince dans les bras. L’Empereur embrassait son fils, lui parlait, et la causerie continuait avec l’Impératrice, Mme de Montesquiou et la personne qui était présente. Le déjeuner terminé, l’Empereur prenait le petit Roi dans ses bras, se dirigeait vers la fenêtre pour lui faire voir les passants et un groupe de curieux qui stationnait habituellement dans le jardin, sous cette fenêtre, pendant le déjeuner. Les petites scènes d’amour paternel ne cessaient que quand l’Empereur et l’Impératrice rentraient dans le salon. Mme de Montesquiou et la sous-gouvernante retournaient dans les appartements du petit prince avec la berceuse, qui était restée dans le salon des petits officiers, pendant la visite. Pour moi, j’allais à l’intérieur auprès du valet de chambre de service.

J’aimais beaucoup ce service du déjeuner pour les conversations que j’y entendais. Si j’en eusse tenu un journal, il me serait resté un mémorial assez curieux sur les personnes et sur les choses.

Un jour, l’Empereur, après son déjeuner, prit le petit Roi dans ses bras, comme c’était son habitude, le caressa, lui fit quelques petites niches, et dit à l’Impératrice en se tournant de son côté : « Tiens ! embrasse donc ton fils. » Je ne sais plus si Marie-Louise embrassa le Prince, mais elle répondit avec un ton presque de répugnance et de dégoût : « Je ne sais pas comment on peut embrasser un enfant. » Le père était bien différent ; lui, il ne cessait d’embrasser et de caresser son fils bien-aimé. Que dut penser Mme de Montesquiou d’entendre un tel langage de la part de l’Impératrice ? Qu’en pensent les mères de famille ? (Cette scène se passa aux Tuileries, dans l’embrasure de la fenêtre.)

Un autre jour, l’Empereur, après son déjeuner et après avoir