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arrivé, non sans efforts, à remplir vaille que vaille une tâche bien au-dessus de son esprit inculte ; on a supposé que peut-être l’Empereur lui aurait interdit de publier son journal et que Saint-Denis l’aurait détruit, après l’avoir utilisé pour donner à ses Souvenirs leur forme définitive. Cette version est assurément piquante ; mais le témoignage sur lequel elle repose est inexact.

Je laisse de côté les erreurs évidentes, telles que cette date de 1801 absolument impossible : ce peut être une faute de lecture pour 1806. Mais la mémoire du docteur l’a certainement abusé.

D’abord, rien dans les Souvenirs ne correspond, ni pour la forme, ni pour le fond, aux prétendus extraits qu’il en donne.

Puis Louis-Etienne Saint-Denis n’est pas sorti des écuries ou du manège de son père pour entrer aux écuries impériales. Il a passé quatre années petit-clerc chez un notaire. Un jeune garçon intelligent, comme il l’était, s’est assurément perfectionné et, — en supposant qu’il ne le sût pas déjà, — a appris un peu de français dans ce milieu. Aussi, quand.il entra dans la Maison impériale, c’est aux bureaux qu’on l’avait d’abord placé. — Nous savons qu’il était et qu’il est resté jusqu’à son dernier jour grand liseur, et liseur attentif, qui prenait des notes sur les ouvrages les plus divers : mathématiques, histoire, voire exégèse. Il s’intéressait même aux questions de grammaire et sans en croire docilement le premier volume qui lui tombât sous la main : un jour, il écrivait de Paris à sa femme : « Je voudrais avoir la grammaire qui réfute celle de Noël et Chapsal : Clémence la connaît. » Est-ce à trente-trois ans qu’un homme jusque-là ignare peut commencer à s’intéresser à ces choses ? — Si le duc de Vicence l’a choisi dans tout son personnel pour l’offrir à l’Empereur, c’est sans doute qu’il le savait suffisamment dégrossi. Si l’Empereur l’a désigné comme garde de ses livres, c’est qu’il le connaissait suffisamment instruit pour cet emploi : il n’aurait chargé de ces fonctions ni un Santini, ni un Archambault. — Saint-Denis mettait au net les manuscrits de Sainte-Hélène ; quand il ne pouvait déchiffrer, il substituait au texte illisible des mots de son cru, que l’Empereur tantôt acceptait, tantôt corrigeait, mais sans lui interdire ces libertés. — Ses compagnons reconnaissaient sa supériorité : « Vous qui avez de l’érudition pour vous et pour moi... » lui écrivait