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quatre années, le théâtre ensanglanté de la guerre. Nos villes et nos villages ont été détruits, tantôt par les obus allemands, tantôt, quand telles étaient les nécessités militaires, par les projectiles des armées alliées. Plusieurs de nos plus belles provinces ont été saccagées et ruinées pour que fussent sauvées, tout à la fois, la liberté de la France et la grandeur de l’Angleterre. Nos provinces du Nord et de l’Est sont restées, durant toutes les hostilités, le champ de bataille de l’univers. Elles ont, pour ainsi dire, appartenu indivisément aux armées alliées, qui y ont vécu, cantonné, combattu ; et, si ces armées ont ensemble repoussé l’étranger, si la coopération britannique et américaine a grandement facilité cette œuvre de libération, notre territoire a été le rempart, le glacis ou la tranchée, qui ont protégé, comme disait le Président Wilson, la frontière de la liberté.

La victoire est venue et nous avons pavoisé nos ruines. Nous étions en droit d’espérer que tous nos amis nous aideraient à les relever et, lorsqu’à commencé l’examen des conditions de la paix, nous nous sommes étonnés des difficultés que nous rencontrions, comme si nous pensions que l’héroïsme de nos soldats et les souffrances de nos populations devaient faire oublier à nos alliés leurs habitudes et leurs intérêts, leurs passions et leurs préjugés. La guerre avait, au contraire, développé et exaspéré, chez la plupart des peuples, jeunes ou anciens, les sentiments nationaux et la volonté de puissance ; et là où nous nous imaginions ne rencontrer que bonne grâce et complaisance, nous avons eu la surprise de nous heurter à des contradictions et à des résistances.

On a commencé par déposséder notre langue de ses anciens privilèges diplomatiques. Tous les traités qui ont suivi la paix, traités de Versailles, de Saint-Germain, de Sèvres, de Trianon, ont été rédigés, tantôt en deux idiomes, tantôt en trois. En 1784, la classe des Belles-Lettres de l’Académie de Berlin mettait au concours la question suivante : « Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve ? » En 1921, l’Académie française peut choisir, pour le prix d’éloquence, ce sujet mélancolique : « Qui est-ce qui a fait perdre à la langue française sa qualité de langue diplomatique de l’Europe ? Par où a-t-elle mérité cette disgrâce ? Est-il à présumer qu’elle s’en relève ? »

Au XVIIIe siècle, lorsque des États comme la Suède, la Suisse, la Sardaigne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Hongrie, la Prusse contractaient entre eux, même en dehors de la France, ils se servaient de