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pour son propre compte, et d’aucune on n’aurait pu, sans excès de candeur, attendre une conduite différente. Nous nous sommes entr’aidés ; nous avons participé à une œuvre de défense commune ; nous nous sommes trouvés unis dans une heure où la liberté de tous était menacée ; nous ne pouvons pas ne pas garder pieusement le souvenir de cette solidarité ; mais elle n’a pas fait de certains d’entre nous les débiteurs des autres et, en particulier, si la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne a été d’un grand secours pour la France, la rapide mobilisation de la France a été d’un grand secours pour la Grande-Bretagne.

Une fois les hostilités commencées, chacun des deux peuples a réalisé des prodiges pour assurer la victoire, et ce n’est pas moi qui chercherai à sous-estimer les merveilleux efforts accomplis, sur terre et sur mer, par l’Empire britannique. En moins d’un an, lord Kitchener a réussi à constituer une armée ; les dominions et les colonies ont recruté, avec une rapidité extraordinaire, d’admirables contingents ; la Grande Flotte a condamné à l’immobilité et à l’inertie les navires allemands de haut bord ; l’Angleterre enfin a fait des miracles pour purger la mer du Nord, la Manche et l’Océan des sous-marins qui commençaient à les infester. Mais nous, n’avons-nous été pour rien dans la victoire ?

Lorsque la vague germanique a déferlé sur le sol de Belgique et de France, nous étions presque seuls. La petite armée belge, qui s’était vaillamment battue, même après la prise de Liège et l’investissement d’Anvers, avait fini par être écrasée sous le nombre et avait besoin d’être entièrement reconstituée avant de reprendre campagne. Les quatre divisions britanniques, que commandait le maréchal French, étaient composées de soldats énergiques et courageux ; mais, un peu dépaysé sur le continent, leur chef craignait toujours de s’éloigner de ses bases maritimes et il ne prêtait au commandement français qu’une assistance incertaine et précaire. Si, à cette époque, l’armée française n’avait pas été en mesure de faire face à l’ennemi, la bataille de la Marne, au lieu de finir en victoire éclatante, se serait terminée par une défaite irréparable. A cette heure décisive, c’est l’armée française qui a été l’avant-garde des armées de l’univers et qui s’est fait décimer pour le salut de tous. C’est elle encore qui, les semaines suivantes, a lutté de vitesse avec l’envahisseur dans la fameuse course à la mer et qui a remporté cette victoire de l’Yser qui a protégé, non seulement les côtes françaises, mais les côtes anglaises et a laissé à la Grande-Bretagne le temps de recruter et d’organiser ses troupes