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« bon, brave et faible » garçon. Tous les héros de M. Tristan Bernard sont, à peine mauvais, lâches à peine, de faibles garçons. Il ne les méprise pas. Il vous les offre, à ne point mépriser, mais à ne point glorifier, comme des échantillons de l’humanité moyenne. Les moralistes qui invectivent le plus éloquemment contre les vices de l’âme humaine et la dépravation de l’humanité sont moins pessimistes.

Pour embellir son pessimisme et le rendre plus délicieusement persuasif, M. Tristan Bernard a plus d’esprit que personne, l’esprit le plus souriant, doux, aimable, et le style d’un écrivain qui sait marier les mots à la pensée.

Les héros de M. Tristan Bernard sont de simples gens que n’embarrasse point l’idéologie. M. Maurice Beaubourg dénigre plus hardiment l’âme humaine en lui donnant pour miroir M. Gretzili, professeur de philosophie.

Philosophe, et qui a lu les philosophes, M. Gretzili a fait le tour des systèmes qui sont l’honneur de l’humanité. Depuis les Éléates jusqu’à nos jours, les métaphysiques se multiplient, foisonnent, témoignent d’une inquiétude pathétique. M. Gretzili a essayé toutes les sortes de sagesse ; il les a trouvées nulles, en définitive, et les a remplacées par une autre sagesse et que voici, en peu de mots : « Il n’y a rien ! » Mais ce rien, c’est énorme : c’est le total d’une méditation qui a duré de longs siècles et dure encore. Le nihilisme d’un philosophe ne ressemble pas au néant des imbéciles : c’est du néant très opulent.

Un jour, le premier jour de l’an, M. Gretzili sort de chez lui dès l’aube, afin d’aller porter des fleurs, des roses de Noël, sur la tombe de sa défunte épouse. Il rencontre une petite jeune fille très délurée, qui s’est levée dès l’aube, afin d’aller porter des roses de Noël sur la tombe de sa mère. Et M. Gretzili a bientôt cette fillette à son bras. Surviennent des militaires ; et il faut, en si joyeuse compagnie, trinquer un peu chez le marchand de vins. L’on boit beaucoup. M. Gretzili prononce un discours. Et pourquoi ne pas garder le silence, du moment qu’il a renoncé à toute croyance et doute même de croire que rien n’existe ? Mais avez-vous entendu dire que le néant de la pensée invite un orateur à se taire ?... M. Gretzili parle, tout de même que s’il avait quoi que ce fût à préconiser. Son discours est une extraordinaire faribole de mots qui ne signifient nulles choses et qui ne manquent pas d’émouvoir l’assistance. Il donne cent francs pour payer le plaisir des autres et le sien. Mille cérémonies ; et il répond : « Vous savez bien que l’argent n’existe pas pour moi. Non, pas plus que le reste !... » Il joue avec le néant, comme il peut.