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préparée, avec un art plein de rouerie, pour votre divertissement.

Le pessimisme de M. Tristan Bernard ? Si vous ne le voyez pas, tant mieux : c’est encore un tour de sa façon, qui est discrète, cachottière et pateline. Le pessimisme de M. Tristan Bernard est dans l’opinion qu’il a de l’âme humaine, des sentiments qui la révèlent, des émois qui la soulèvent, de l’activité qui l’occupe.

L’enfant prodigue du Vésinet, Robert, appartient à la même famille spirituelle, pour ainsi dire, que le Jeune homme rangé, que le Mari pacifique, admirables caricatures, et ressemblantes, d’une veulerie native et cultivée. M. Tristan Bernard choisit le plus volontiers pour ses héros des garçons qui ne rudoient pas leur nature et qui sont doucement abandonnés à leur génie.

Cependant, il a écrit Amants et voleurs, qui est un recueil d’anecdotes où les apaches vont à leur besogne ? Eh ! le volume devait d’abord s’appeler « Héros misérables et bandits à la manque. » Ces bandits sont d’une « faible trempe ; » ces voleurs ont de la rêverie ; l’auteur demande que l’on ait une sympathie un peu molle pour ses timides canailles et ses héros sans vaillance. Comme Arthur Schopenhauer voulait que « la volonté » fût l’essence de l’univers, je crois que, si M. Tristan Bernard rédigeait sa philosophie en système, il remplacerait la volonté par la veulerie : et, sinon sa philosophie, en tout cas sa psychologie et, j’allais dire, sa morale, serait l’étude des manigances folâtres, mornes et, le plus souvent, insignifiantes que font, involontairement, nos âmes.

S’il examine de préférence les êtres les plus doucement paresseux, c’est que leur paresse, en ralentissant leur activité, permet qu’il les regarde mieux et à loisir. Un cheval au galop passe et vous n’avez rien vu. Pour étudier le galop du cheval, prenez une série d’ « instantanés, » comme on dit, ou recourez au moyen nouveau du cinématographe qu’il est possible de tourner sans hâte : ainsi, vous décomposerez le mouvement. Les paresseux ou les nonchalants que M. Tristan Bernard observe lui donnent cette lenteur si favorable à une étude bien attentive et minutieuse. Alors, il n’est pas ébloui, déconcerté par de brillantes apparences. Il a le temps d’écarter les apparences et d’aller voir au fond des âmes. Qu’y voit-il donc ?

Il y voit une naïveté à laquelle on fait trop d’honneur en la croyant sublime ou criminelle. En vérité, ce n’est rien. Ce n’est qu’une indécision que déterminent les motifs les moins surprenants. Ce n’est que sottise ? N’employez donc pas de gros mots inutiles. Robert, l’enfant prodigue, M. Tristan Bernard vous engage à le considérer comme un