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centre, comme le bonnet des matelots, un pompon de laine. Rien de lui, ni sa physionomie, ni ses propos, ni son jeu, ne révélait un artiste, présent ou futur. Son visage n’avait de saillant que le front. Pianiste, il était un des plus jeunes, mais non pas, encore une fois, des meilleurs d’entre nous. Surtout je me souviens de sa manie, ou de son tic, lequel consistait à marquer les temps forts de la mesure par une espèce de hoquet ou de souffle rauque. Cette exagération du rythme fut plus tard le moindre défaut, sinon peut-être du pianiste, au moins, et sûrement, du compositeur. Vous en conviendrez quand vous saurez son nom. Il s’appelait Claude Debussy. Très renfermé, pour ne pas dire un peu maussade, il n’attirait pas la sympathie de ses camarades. Un autre au contraire la gagna tout de suite, sans réserve et sans retour : c’était ce blondin, ce gamin de Pierné. Gai, spirituel et cordial, tout souriait à ses quinze ans, et rien, depuis ces temps lointains, ni son art, ni la vie, n’a cessé de lui sourire. Il jouait du piano comme un ange, avec une finesse, un moelleux, une pureté qui rappelait un peu la manière de Paladilhe. Celui-là vraiment promettait bien tout ce qu’il a donné. Dans son œuvre charmante, et plus que charmante parfois, j’ai vu sans étonnement se développer et s’épanouir l’heureuse nature, privilégiée dès l’enfance, de l’un des plus nôtres parmi nos musiciens d’aujourd’hui.

Une classe du Conservatoire ne ressemblait pas à la classe d’un collège. Tous les élèves n’apprenaient pas la même leçon, ou le même morceau. Chacun travaillait le sien et le jouait au maître. D’où la variété des observations et des conseils, suivant le genre de l’œuvre interprétée et le mérite ou la médiocrité de l’interprétation. Rien n’échappait à Marmontel : pas une intention de l’auteur, pas une faute de nos doigts, pas une erreur de notre goût. Jamais il ne s’est lassé de nous avertir ou de nous reprendre ; mais il le faisait avec douceur, avec l’apparence même de l’insensibilité. Qu’il était sensible pourtant ! Quelquefois il saisissait à deux mains sa longue barbe, et la tirait, comme pour l’allonger encore. Les yeux mi-clos, il poussait de profonds soupirs et murmurait : « Oh ! mon Dieu ! Oh ! mon Dieu ! » On eût dit qu’il prenait le ciel à témoin de nos bévues et de la souffrance qu’il en éprouvait, tout en s’efforçant de ne la point trahir. En revanche, la moindre marque d’intelligence, une trouvaille heureuse, une