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On remarquait qu’il avait adressé des « lettres très honnêtes et très obligeantes » aux deux Vendôme, qui s’étaient signalés à la victoire de la Marsaille, et il n’avait pas écrit à Monsieur le Duc et au prince de Conti, après leurs « merveilles » de Nerwinde. Il avait toujours de l’aversion pour Conti, dont il ne voyait pas d’un œil bienveillant le goût pour Luxembourg ; car, si le Roi se servait du maréchal, il n’aimait ni ses mœurs, ni son ambition. Conti « s’était attaché à Luxembourg comme à son maître par tous les devoirs d’un disciple, » et Luxembourg, trouvant en lui « tout ce qu’il fallait pour en faire un grand capitaine, s’appliquait avec complaisance à le former. »

Conti reçut de Luxembourg plus d’une leçon utile en 1694, et ne se montra pas indigne de son maître en Flandre, bien que la campagne y fût, cette année-là, une campagne sans batailles. Selon l’expression de Voltaire, « on périssait de misère au bruit des Te Deum, » et Louis XIV, ne pouvant diminuer les charges du pays, diminuait les effectifs. Inférieure de quarante mille hommes à l’armée des alliés, l’armée française, commandée par le Dauphin et par Luxembourg, immobilisait Guillaume en menaçant Liège et Maëstricht. Mais un soir, Luxembourg apprend que Guillaume veut traverser l’Escaut entre Audenarde et Tournay, à Espierre, lâcher ses coureurs en Picardie et même en Champagne.

L’ennemi est séparé du pont d’Espierre par vingt lieues, les Français, par quarante-deux, cinq rivières et des défilés. Luxembourg a résolu de devancer l’ennemi. Il part, Conti le suit avec l’infanterie. Dans toutes les villes, Conti a fait préparer du pain, de la bière, de l’eau-de-vie « et d’autres rafraîchissements. » Sans cesse, il va « de la tête à la queue, » hâte « les traîneurs, » empêche « qu’on marche à deux aux endroits où on peut passer à quatre. » Quand Luxembourg lui ordonne d’envoyer au plus vite les grenadiers et les soldats les plus ingambes, Conti se met à leur tête, laisse les autres en arrière ; mais, autant qu’Ulysse, fertile en expédients, il a soin d’emporter tous les drapeaux.

La marche de Luxembourg, le stratagème de Conti vont réussir. Accouru trop tard au pont d’Espierre, sur le bord opposé de l’Escaut, Guillaume aperçoit cette armée qui l’a prévenu d’une façon si extraordinaire, et il se retire, trompé sur le nombre des régiments par le nombre des drapeaux.

Cette marche, qui fut l’admiration des hommes du métier,