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quelle sobriété dans la louange ! C’était le style du temps, celui de Turenne écrivant : Un tel « fît très bien, » tel autre (le grand Condé) « fit à son ordinaire. »

L’approbation de Luxembourg fut quelquefois plus explicite. « Ce grand homme, a raconté Massillon, disait tous les jours que le prince de Conti lui apprenait son métier... Combien de fois lui avait-on ouï dire qu’il devait au prince de Conti le principal honneur de ses victoires ? » Beaux éloges, trop beaux sans doute, mais il y a des licences oratoires, comme il y a des licences poétiques.

Luxembourg fit certainement beaucoup pour la gloire de Conti ; Conti fît peut-être plus pour la gloire de Luxembourg, par un mot si juste et si pittoresque, qu’il est demeuré attaché depuis deux siècles au nom du maréchal. On chantait à Notre-Dame un Te Deum pour la victoire de la Marsaille, gagnée le 4 octobre par Catinat. Conti aperçoit Luxembourg dont la petite taille se perd au milieu de la foule. Sous les voûtes, parées des drapeaux conquis à chacune de ses victoires, Conti se fraye un passage jusqu’à Luxembourg, le montre aux assistants en criant : « Place au Tapissier de Notre-Dame ! » « Place au Tapissier de Notre-Dame ! » répète la foule qui se range, et le maréchal avance dans la cathédrale, secondé, comme à Steinkerque, comme à Nerwinde, par le plus populaire des princes, le plus glorieux de ses lieutenants.

Le public a tout loisir devoir le prince de Conti, le dimanche 1er mars 1694, au bout de la terrasse des Tuileries, à la porte de la Conférence, car le prince y demeure une partie de la matinée. Il est juge dans la course des six juments hollandaises du duc d’Elbeuf. M. de Chemeraut a parié quatorze cents louis d’or neufs, plusieurs seigneurs et dames sont de part avec lui ; et voici les termes de la gageure : attelées à un train de carrosse, « les juments de M. le duc d’Elbeuf, en partant de Paris de dessous la porte de la Conférence, ne pourront aller jusques à la grille de Versailles, où ce duc sera obligé de faire tourner son brancard avec les six juments autour d’un pilier dressé devant la première grille, repartir de là pour Paris et arriver en deux heures de temps à la porte de la Conférence, où il sera obligé d’être avant que la seconde soit sonnée. »

Il y a déjà une heure trois quarts que les juments ont quitté la porte de la Conférence. Elles ont atteint la grille du château de Versailles en une heure une minute. Le duc d’Elbeuf les