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brutale d’établir le règne d’Israël sur tous les peuples du monde…

— Tout cela, répond le Juif, d’un air apeuré, mais narquois, où glisse le sourire d’Henri Heine, ce ne sont que raisonnements de petits boutiquiers et d’étudiants jaloux qui défendent leur pâtée. Voyons les choses froidement. Grâce à Dieu, vous ne nous détestez pas autant que vous vous l’imaginez. Votre aristocratie tient à nous, puisque nous faisons ses affaires. Votre clergé catholique (votre haut clergé, le seul qui compte s’entend) nous est aussi très favorable : nous administrons ses biens, car sa confiance en nous est complète, et de plus, nous offrons à son zèle une matière à conversion admirable. Quant à vos pasteurs protestants, ils sont trop pénétrés d’esprit biblique pour être délibérément hostiles aux descendants d’Abraham et de Moïse. Soyez francs ! Vos paysans eux-mêmes ne nous détestent pas. A-t-on jamais vu le moindre pogrom en Hongrie ? Les pendaisons de ces dernières semaines sont de tristes accidents, artificiellement organisés, dont nous ne leur tiendrons pas rigueur, car ils en sont au fond innocents… Non, nos vrais, nos seuls ennemis, ce sont vos petits nobles fainéants, vos petits bourgeois timides et paresseux, qui feraient mieux de travailler au lieu de perdre leur temps à cracher sur les Juifs. Commerçants, médecins, avocats, journalistes et étudiants chrétiens ne nous pardonnent pas nos succès. Qu’y pouvons-nous ? Peut-on nous faire sérieusement un grief d’être une race plus énergique, plus subtile que la hongroise ? Est-ce notre faute si au lycée, à l’Université, nous sommes toujours les premiers ? Peut-on nous reprocher d’être des commerçants plus habiles, des industriels plus hardis ? J’ai quelquefois entendu soutenir que notre réussite tient moins à notre intelligence et à notre activité qu’à un certain manque de scrupules. Cela, c’est vite dit ! Mais si je regarde autour de moi, je ne vois pas que la probité des Chrétiens soit bien supérieure à la probité des Juifs. Je vous accorde seulement que notre malhonnêteté a plus d’imagination et d’envergure que la vôtre. Ce qui fait que, donnant de plus grands résultats, elle frappe les yeux davantage. Un exemple. Au cours de la guerre, j’ai connu maint pauvre diable chrétien qui volait l’État de son mieux, en faisant lécher du sel à ses bœufs, afin d’exciter leur soif et de vendre à l’Intendance des bêtes toutes gonflées d’eau. Évidemment un Juif a une autre façon