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arrivés pendant la guerre ; on limite le nombre des Juifs admis à l’Université, pour diminuer leur importance dans les professions libérales qu’ils avaient envahies ; on ferme les loges maçonniques, presque uniquement juives ; un peu partout, des banques et des coopératives chrétiennes s’organisent pour remplacer l’intermédiaire hébreu ; des maisons d’édition et des journaux se créent avec mission de défendre l’intellectualité nationale. Une lutte violente est engagée entre deux âmes et deux races, et voici les propos, les voix alternées qui dominent le bruit quotidien du combat.

— Ah ! ces Juifs ! s’écrie le Chrétien avec une passion qu’exalte le sentiment de son immense faiblesse devant son formidable adversaire, nous ont-ils assez trompés ! Depuis plus d’un demi-siècle, tous nos hommes d’Etat, libéraux ou conservateurs, catholiques ou protestants, se sont employés à l’envi à leur ouvrir notre pays. Nous avions tellement peur de passer aux yeux de l’Europe pour des Turcs arriérés, pour une population rétrograde ! Nous faisions taire nos antipathies profondes, afin de paraître intelligents, modernes, européens, que sais-je ! Nous nous mettions un bandeau sur les yeux, et nous déclarions fièrement, à l’exemple des nations civilisées d’Occident, qu’il fallait être un barbare pour s’imaginer que dans la question juive il y avait autre chose qu’une simple querelle de religion. Nous restions sourds aux avertissements de ceux qui nous disaient : « L’Allemagne, l’Angleterre ou la France peuvent se permettre, si bon leur semble, de recevoir des Juifs chez elles avec libéralité. Dans ces trois pays réunis, de plus de cent millions d’habitants, le nombre des Juifs égale à peine celui qu’il atteint dans notre petite nation. Allemands, Anglais ou Français peuvent bien verser dans leur grand lac une bouteille d’encre. Mais nous, si nous versons cette bouteille dans la soupe hongroise, on ne pourra plus la manger... » Nous avons fermée l’oreille à ces conseils de prudence. Nous avons cru naïvement que tous ces étrangers que nous laissions entrer chez nous par milliers, s’assimileraient aisément et deviendraient pareils à nous. Quinze sous suffisaient à opérer un miracle ! Pour quinze sous, ils pouvaient changer de nom. Pour quinze sous, un Kohn devenait Bela Kun, un Krammer se transformait en Keri, un Otto Klein en Corvin ! A chaque Juif qui changeait de nom, un magyar de plus ! disions-nous. Autant de gagné pour notre petite