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triomphe, les feux d’artifice et les discours de cette journée d’apothéose n’arrivaient pas à cacher une profonde inquiétude. Sous la forme du Roumain, une fois de plus l’Amalécite menaçait Jérusalem. Les trois cent mille Russes de Lénine, qui devaient sauver la Hongrie, étaient restés à l’état de fantômes dans leur mirage d’Orient, et à leur place c’étaient les Roumains qui passaient la Tisza, sous prétexte de secourir contre les excès communistes leurs frères de sang demeurés en terre hongroise.

Le lendemain de ce glorieux premier mai, les Soviets apprenaient avec stupeur que les Roumains avaient franchi la rivière, que les Tchèques étaient à Miskolcz ; et l’on voyait déjà des soldats rouges débandés refluer sur Budapest en charrettes et par les trains. Le bruit courut même, dans la soirée, que le Conseil des commissaires du peuple avait démissionné. Mais Bêla Kun, informé entre temps que les Alliés désapprouvaient l’avance des Roumains, prenait la parole au Conseil et déclarait qu’il était prêt à mener la lutte jusqu’au bout : « Si nous voulons combattre, dit-il, ce n’est ni pour défendre l’intégrité de notre territoire, ni pour reprendre à notre compte la politique d’oppression des nationalités. Mais nous avons une mission. Dans le combat qui met aux prises, sur toute la surface du globe, l’impérialisme capitaliste et le socialisme bolchéviste, nous prenons part à la bataille. Nous sommes un des soldats de la révolution internationale ; nous devons nous battre pour l’honneur des travailleurs hongrois, pour la cause sacrée du prolétariat universel. Aussi longtemps qu’il y aura la possibilité de tirer un coup de fusil, nous ne déposerons pas les armes, nous ne céderons pas un pouce du sol où le prolétaire est maître... C’est ma croyance superstitieuse que si la dictature du prolétariat est un jour vaincue en Hongrie, c’est qu’elle n’a pas coûté assez de sang... » Pour qui savait l’entendre, ce discours signifiait que les ouvriers hongrois devaient se préparer à quitter les usines, les cinémas, les rues de Budapest, et rejoindre l’armée. Au milieu des applaudissements, l’Assemblée vota d’enthousiasme que la moitié au moins des Commissaires du peuple et des membres du Conseil s’en iraient immédiatement sur le front. D’ailleurs, cette minute d’héroïsme passée, les Commissaires, oubliant leur serment, restèrent paisiblement chez eux.

En grande hâte, on réorganisa l’armée rouge. Et là encore