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le jeu. Ce jour-là, à Kapuvar, on ne pendit pas davantage.

Chacune de ces expéditions s’accompagnait de rafles de bestiaux, de volailles, de vin, de légumes, de blé, qu’on expédiait par wagons à Budapest. Puis Szamuely rentrait en ville, et on le voyait, au club Othon, le cercle des journalistes juifs, où naguère il avait subi maints affronts, plus dandy que jamais, ses cheveux noirs rejetés en arrière, le veston d’une coupe irréprochable, son éternelle serviette de maroquin sous le bras, serrant les mains d’un air distrait, et paraissant ne reconnaître personne.


III. — LA DÉBACLE DES SOVIETS

Le 1er mai, à Budapest, fut une journée de triomphe et d’angoisse. Ce jour-là, toute la ville parut être peinte en rouge. Ordre avait été donné de teindre en écarlate les anciens drapeaux hongrois, et dans chaque maison les hommes de confiance surveillaient si les locataires avaient suffisamment empourpré les fenêtres de leurs logis. Toutes les statues qui rappelaient les héros surannés de la Vieille Hongrie, Arpad, Jean et Mathias Hunyade, Thököli, Rackoczi, l’évêque Pazmani et bien d’autres, disparurent sous des planches badigeonnées de rouge et des affiches sang de bœuf. Devant le Parlement, le monument de Jules Andrassy, l’homme de Bismarck et de la Triple-Alliance, s’enveloppait d’un échafaudage rappelant un vague temple grec ou une armoire à thora. Sous l’effigie de saint Gérard, apôtre et martyr de Hongrie, un immense tableau écarlate figurait en allégorie le paradis des prolétaires. A l’un des carrefours de la ville, quatre énormes sphères terrestres, qu’on eût dit couvertes de sang, symbolisaient le triomphe mondial de la révolution. Des bustes de Karl Marx, de Lénine, de Trotzki, de Liebknecht, de Rosa Luxemburg, présidaient à la fête, comme les saints des nouveaux jours. Sous une suite d’arcs de triomphe, au milieu des oriflammes, des étoiles à cinq branches, des sceaux de Salomon, on arrivait, par la rue Andrassy, au monument élevé il y a quelque vingt ans pour glorifier le millième anniversaire de l’entrée des Magyars en Hongrie. Des tentures d’andrinople le voilaient également aux regards, et sur les marches se dressait un colossal Karl Marx, entouré de figures allégoriques.

Mais tout ce rouge, tous ces cortèges, tous ces arcs de