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effet, une fatalité attachée à ces régimes qui ne cessent d’en appeler à la conscience des travailleurs, de multiplier à l’infini les services de contrôle, et de créer rapidement une nouvelle classe privilégiée, plus nombreuse et bien autrement stérile que l’ancienne bourgeoisie.) Le reste de l’argent fut employé à soutenir la propagande communiste, en Autriche, en Roumanie, en Tchéco-Slovaquie, en Allemagne surtout, où les fonds envoyés par Bela Kun subventionnèrent les émeutes de Hambourg et la révolution de Munich. Ajoutez à cela le vol, les dilapidations, les sommes difficilement appréciables, qu’en prévision des mauvais jours de prudents amis du peuple mirent à l’abri à l’étranger. Les caisses se trouvèrent bientôt vides. Et l’on put voir cette chose comique : deux mois à peine après l’établissement de la dictature prolétarienne, le gouvernement soviétique, qui traitait les bourgeois de parasites et d’exploiteurs, invitait ces mêmes bourgeois à remettre dans ses banques l’argent qu’ils pouvaient avoir encore, et leur promettait en échange un intérêt de huit pour cent, le double de celui qu’ils recevaient autrefois !

Dans cet extrême embarras, le Gouvernement des Conseils pensa tout naturellement à fabriquer des billets. Mais les presses et le papier bleu à filigrane de la banque austro-hongroise étaient à la Monnaie de Vienne. Force fut donc, pour ces nouveaux billets, de se servir d’un papier blanc quelconque et de recourir aux imprimeries ordinaires. Cet argent blanc, comme on disait pour le distinguer de l’argent bleu, devint l’argent officiel ; et sous les peines les plus sévères, les gens qui possédaient encore des billets bleus durent les échanger dans un bref délai contre les coupures nouvelles. On espérait ainsi faire rentrer dans les caisses de l’Etat une monnaie qui, si dépréciée qu’elle fût, était cependant la seule qui valût quelque chose à l’étranger. Mais les Soviets eurent beau se vanter de donner pour caution à leur papier, non pas la vaine garantie d’une réserve métallique, mais les ressources mêmes et tout le travail de la nation, personne ne fut dupe : tout le monde voyait trop bien que ces ressources mal exploitées étaient devenues inexistantes, et chacun fermait sa bourse.

L’activité intellectuelle elle-même, dans ce qu’elle a de plus spontané, la littérature et l’art, fut socialisée elle aussi. L’État exerçait son contrôle sur toutes les productions de l’esprit