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seule à attester l’existence de l’infortuné et inconsistant M de Galandot. Ses héritiers l’ont placée dans un parc, au centre d’une colonnade, non point par une piété particulière à la mémoire du pauvre homme, mais parce que la mode du jour est aux urnes et aux sarcophages... « La colonnade élevait un demi-cercle de fûts à cannelures autour d’un socle de pierre en forme de tombeau, sur lequel reposait une grande urne de bronze vert, celle que M. de Galandot avait jadis trouvée près de la Porte Salaria et que l’abbé Hubertet avait léguée à François de Portebize. Parfois une colombe venait s’y percher un instant. On entendait, sur le métal, le grincement des pattes écailleuses ou le frottement du bec de corne. Puis l’oiseau s’envolait, et le vase restait seul debout... »

Cette urne solitaire, elle apparaît comme le symbole, non pas seulement de l’œuvre italienne, mais de toute l’œuvre douloureuse et splendide d’Henri de Régnier. Oui, c’est bien ainsi que nos neveux la verront : un beau vase de Versailles ou de la Villa Pamphili, vase de marbre ou de bronze, aux flancs duquel l’artiste a sculpté des nymphes et des satyres, des scènes de bacchanales, des triomphes de divinités, et qu’on a posé sur un hautain piédestal, au milieu d’une pelouse et d’une colonnade. Des statues et des architectures admirables, de grandes perspectives royales, peuplées de couples amoureux et de silhouettes héroïques, se groupent et s’ordonnent autour de l’urne altière, qui, de sa bouche béante vers l’azur, semble vouloir aspirer tout le ciel. Mais cette bouche est éternellement insatisfaite, ces larges flancs de marbre ou de bronze, sous les divines broderies des sculptures, ne recèlent qu’un peu de terreau noir et d’herbes sèches. Au cœur du beau vase, c’est un vide affreux.

Ce contraste entre le vide du dedans et les magnificences du dehors, entre la solitude de l’âme humaine, le néant de son effort et la folie de ses rêves, l’essor éperdu de son désir, c’est là une émotion d’art poignante et déchirante qu’aucun romancier et qu’aucun poète ne nous ont donnée avec plus d’acuité, d’intensité, — ni de splendeur, — que M. Henri de Régnier.


LOUIS BERTRAND.