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de nostalgique ou d’exotique. Henri de Régnier n’a pas à revenir vers on ne sait quel Eldorado fantastique, quel Éden perdu ; il n’est pas l’étranger, le badaud qui s’extasie devant des spectacles insolites ou inconnus. En Italie, il se sent chez lui, comme en France. C’est le pays où il se trouve bien. Pressez-le un peu : il vous avouera que c’est celui où il se trouve le mieux.

Oui, il est chez lui, parce que, à ses yeux, l’Italie, c’est encore de la France, — une France plus chaude, plus colorée, plus violente aussi et plus dévergondée, mais d’une fantaisie ignorée chez nous. Ecoutez de quel accent il en parle à travers la confession d’un de ses personnages !... « L’Italie ! l’Italie ! Il l’avait vue dans les gouaches de Hubert Robert et dans les sanguines de Fragonard, avec ses ruines et ses palais, ses jardins et ses arcs de triomphe, ses fontaines et ses cyprès. Elle était venue à lui avec les fêtes vénitiennes de Watteau, avec ses comédiens et ses comédiennes, avec Colombine et Mezzetin, Pantalon et Scaramouche. Il l’avait retrouvée chez de Troy et Coypel. Le petit masque des bouffons de Bergame ne couvrait-il pas, de son demi-visage de taffetas, le sourire épicurien et voluptueux de la Régence ? N’avait-elle pas été, durant le siècle, les délices des amateurs et des numismates ? Il y avait suivi en pensée le comte de Caylus et l’abbé de Saint-Non. Il avait accompagné Jean-Jacques chez la Padoana. Il avait soupe à Venise, en carnaval, avec les sept rois de Candide... L’Italie, c’était l’abbé Galiani mimant dans les salons de Paris ses anecdotes napolitaines, sa perruque à la pomme de sa canne, — et Cagliostro éblouissant les dupes avec ses bijoux, ses plumets, ses carrosses et son jargon sicilien... »

Il est certain qu’à aucune époque les relations des deux pays n’ont été plus intimes qu’au XVIIIe siècle. Or, dans cette Italie, qui est de la France, — ou dans cette France, qui est de l’Italie, — Henri de Régnier va chercher instinctivement ce qui lui a plu dans sa province, ce qu’il a admiré dans son XVIIe ou son XVIIIe siècle natal. Et ce sera l’Italie du passé, — bien entendu.

De même que pour la France moderne, pratique et positive, il ignore tout, il veut tout ignorer de l’Italie contemporaine. On s’en est scandalisé, les Italiens surtout. Comme les Espagnols, comme les Grecs, les Arabes ou les Turcs eux-mêmes, ils sont furieux quand on a l’air de ne louer d’eux que leur passé, de considérer leurs pays comme des musées où tout est mort, catalogué