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M. Le Mélier ne cessa pas jusqu’au matin de faire se démener tout ce monde au son de sa bonne vielle de Gannat... »

Ainsi, le vieux conseiller, débarrassé de sa houppelande et de ses galoches habituelles, est devenu le vieillard Silène, à cheval sur son tonneau, au milieu de ses Ménades et de ses Ægypans. De même encore, dans la Pécheresse, ce petit libertin de La Péjaudie, juché, la flûte aux lèvres, sur un chariot de galériens, finit par évoquer le Satyre de Victor Hugo, dont le front touche les étoiles...

N’est-ce pas bien significatif, cette tendance du romancier-poète à mêler des images antiques au récit d’aventures toutes modernes, à pousser jusqu’au mythe gréco-latin des esquisses ou des portraits de personnages tirés des entrailles du vieux sol gaulois ? Des fantômes d’Italie et de Grèce semblent flotter à la lisière de ses parcs et de ses jardins à la française...


Et nous voici, par un détour nécessaire, au cœur de notre sujet.

Pour peu qu’on réfléchisse sur les considérations qui précèdent, la conclusion suivante s’impose : c’est parce que M. Henri de Régnier a profondément aimé cette France du passé, parce qu’il a été si provincial, si Normand, si Français du XVIIe et du XVIIIe siècle, — c’est pour cela qu’il a tant aimé l’Italie.

Il l’a aimée d’abord comme les Français de l’âge classique et encyclopédiste, — et pour les mêmes raisons. Il l’a aimée, au point de s’expatrier quelquefois et d’y élire domicile, à l’exemple d’un de ses héros les plus singuliers, cet énigmatique M. de Galandot, dont la silhouette falote traverse toute l’intrigue de la Double maîtresse : non pas seulement parce que le décor français qu’il préfère nous est venu directement d’Italie, mais parce que, nulle part plus que dans cette Italie du XVIIIe siècle, on n’a pratiqué ce culte épicurien et déjà romantique de l’amour pour l’amour, de la volupté pour la volupté. L’Italie prolonge pour lui la France galante et charmante du temps de Watteau, de Marivaux et de Boucher. Elle en est, en quelque sorte, l’achèvement et le couronnement. Rien de factice, et, en un certain sens, rien de romantique dans ce culte et cette prédilection. Je veux dire qu’il n’y entre rien