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« les poilus de bronze, portant un mort, parmi les Boues de la Somme, par M. Gaston Broquet, en donnent la traduction réaliste. Et le projet de tombeau destiné à un grand chef de guerre, par Mlle Cabaud Arbelot, six poilus portant sur leurs épaules la civière du mort, confirme cette tendance unanime. C’est le style et la gravité des pleureurs du tombeau de Messire Philippe Pot. Combien d’autres encore : le Calvaire, de M. Pasche, l’Ecce Homo de M. Gillot, l’Appel suprême de M. de Nussy, le Mort pour la France de M. Walhain !... Si quelqu’un au dehors des frontières, imagine la France insatiable et belliqueuse, s’il est encore un étranger que n’ont pas persuadé les paroles prononcées sous les arceaux gothiques, ou sous l’arc romain, ou au bord du gouffre impérial, il n’a qu’à venir ici, à regarder ces figures destinées à commémorer la victoire. Elles n’ont pas été dictées par quelques hommes d’Eglise, d’Etat ou de guerre, — si représentatifs qu’ils soient. Il n’y a pas eu de mot d’ordre, pas de censure. Elles sont sorties du sol même du pays, voulues, discutées, approuvées par les familles des morts, par leurs camarades, par les municipalités des petites villes, parfois des moindres villages, comme par les membres des corps savants. L’artiste, lui-même, n’a presque jamais pu imposer sa conception : il l’a subie. Ce sont les aspirations de tout un peuple qui se sont faites statues. Leur spontanéité, à défaut d’autre mérite, ne peut être mise en doute. Or voici ce qu’elles disent, point toujours avec éloquence, mais sans la moindre ambiguïté : ce peuple, qui a gagné la guerre, n’aime pas la guerre. Ce qu’il célèbre dans ceux qui l’ont faite, ce n’est pas l’instinct combatif, mais l’héroïsme sauveur, ni la force mais l’effort, encore moins l’esprit de conquête, mais l’esprit de sacrifice. La victoire, même, n’est pas acclamée pour sa beauté, mais pour sa justice. Et les héros ne demandent rien de plus que de garder à leur pays la terre où ils sont couchés dans la mort.


ROBERT DE LA SIZERANNE.