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augurer du monument. : C’est une semblable ordonnance qu’a imaginée M. Réal del Sarte, en collaboration avec M. Roger de Villier, pour son projet de Monument aux morts de la marine française, d’une très ingénieuse et touchante pensée : deux bas-reliefs se développant également des deux côtés, sous les ailes abaissées d’une Victoire conçue dans une attitude plus calme. Il faudrait, pour en juger pleinement, voir le monument réalisé.

Avec l’envoi de M. Sicard, en revanche, nous avons tous les éléments requis pour une appréciation définitive, car il comprend, à la fois, une maquette de l’ensemble à une assez grande échelle et une réplique, en grandeur naturelle, de la figure principale. C’est celle de M. Clemenceau debout au-dessus de la tranchée, regardant la bataille. Après la France militante, après la France triomphante, voici ce qu’on pourrait appeler la France expectante, représentée par un de ses plus illustres enfants. Cette attitude passive n’est pas, d’ailleurs, la moins significative, plastiquement parlant. Quand le spectacle est trop complexe, trop lointain et trop dispersé, pour qu’on puisse le reproduire lui-même, mieux vaut le suggérer par l’impression qu’il produit, c’est-à-dire par le geste qu’il détermine, ou le caractère qu’il imprime à un être humain qu’on peut figurer, lui, en toute vérité. Angoisse, espoir, confiance, en tout cas attention et volonté tendues vers l’objet unique des préoccupations de tout un peuple, yeux qui voient ce que des millions d’yeux, en cet instant, voudraient voir, âme qui concentre les indignations et les énergies de millions d’âmes éparses sur tout le territoire, mais convergentes en cet endroit : — voilà ce que peut signifier la figure d’un simple témoin, si son geste est bien spécifié, son attitude révélatrice. Et l’artiste a trouvé cette attitude, tant pour son Clemenceau que pour les poilus qui l’accompagnent, demeurés au bas de la butte où il est monté et qui le regardent regarder. La foule des anciens combattants le reconnaît, s’y reconnaît et en est bien aise. Au point de vue purement esthétique, ces silhouettes solides, ramassées, vivantes, ne sont pas indignes de la statuaire. Sans doute, c’est de l’art anecdotique, c’est du Detaille ou du Raffet en sculpture. On peut, en brandissant les exemples hautains de Rude ou de Rodin, le pulvériser. Mais cet art joue son rôle dans nos contemplations émotives, et, s’il le joue bien, il ne faut pas le