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anglais, américains, polonais, belges, suédois, suisses, hollandais, roumains, arméniens, japonais, espagnols, relativement peu nombreux dans le Salon d’à côté. Il ne faut pas s’en plaindre, non plus, beaucoup d’entre eux ayant apporté d’excellentes toiles. Mais si l’on retranchait de ce Salon les morts et les étrangers, si l’on s’en tenait à ce qu’il manifeste de l’Art français d’aujourd’hui, que resterait-il ?

Il resterait des paysages. Cette année, le Paysage est le seul refuge des chercheurs d’émotions esthétiques, de ces contemplateurs naïfs qui entrent au Salon comme dans un domaine enchanté, non pas pour y oublier la vie, mais pour y retrouver la vie dans ses instants révélateurs, dans ses minutes intenses, dans ces éclairs d’illumination intérieure, où quelque chose du fond même des êtres et du plan ordonnateur des choses paraît brusquement. Oh ! très peu de chose : à peine l’éclipse d’un point de lumière sur la crête d’une vague, à l’horizon d’une mer assombrie. Mais cela suffit.

C’est ce qui ne manque jamais, par exemple, aux œuvres de M. René Ménard. On lui est reconnaissant d’avoir saisi un de ces instants fugitifs dans son Coucher de soleil sur la côte de Provence, paysage ciselé par la lumière, où les eaux métallisées, les aiguilles des pins dures et sèches, le reflet solaire réverbéré, entre les longs rouleaux des vagues, les caps fendant de leur étrave la surface des mers, semblent appartenir à une autre sphère que la nôtre, et cependant sont la vérité même, une féerie machinée par la nature éblouie, presque chaque soir, en cet endroit, pour ceux qui la savent voir. Au même ordre de phénomènes très subtilement rendus appartient le petit paysage de M. Albert Moullé Cabanes de mariniers sur les bords de l’Orvanne, à Moret : la nuit s’est faite sous les arbres et sur la rivière au plus épais d’un taillis, bien qu’apparemment il fasse encore jour dans le ciel et sur la plaine ; tout le paysage a l’air reflété dans un miroir noir ; seul, dans un coin, sous l’arche d’un pont, brille, comme un joyau précieux, un reste de lumière, un rayon que le soleil a oublié de rappeler à lui, en s’en allant.

M. René Ménard est le plus notable, mais non le seul qui explore aujourd’hui la côte provençale plutôt que la Grèce et l’Italie, et par « côte provençale, » j’entends non pas la Corniche, ce qu’on a coutume de qualifier de « Côte d’Azur, » mais le pays des héros de Mistral et de Maurin des Maures, la