Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais le Cubisme n’est pas seulement né d’une réaction : il y a aussi, à sa racine, l’imitation des Primitifs ou tout au moins un retour à l’esprit qu’ils supposent aux Primitifs. Ses adeptes se donnent volontiers comme les Primitifs d’un art nouveau et, au premier abord, l’indigence de leurs formes toutes sommaires peut faire illusion. Mais c’est une illusion. Rien ne ressemble moins à l’esprit des Primitifs que les tendances nouvelles. Le propre des Primitifs était de poursuivre la perfection en tout, d’accroître sans cesse le patrimoine de l’art, sans rien laisser perdre des richesses déjà acquises. Ils étaient encore un peu raides, mais ils cherchaient à s’assouplir, un peu sommaires, mais tendaient à la complexité de toutes leurs forces, quelquefois plats, mais amoureux du modelé, encore mal instruits de la perspective, mais ne négligeant jamais les moyens d’y parvenir. Bien loin de pratiquer l’autotomie et d’affecter la simplicité et le dénuement, les Primitifs font étalage de leur science, de toute leur science, a tout propos et hors de propos. Dès qu’ils ont appris à reproduire un nouvel aspect de la nature, un nouveau geste de l’homme, un animal, une plante, un fruit, qu’on ne savait pas imiter avant eux, ils les mettent dans leur œuvre, sans aucune raison que le plaisir et dans la joie de montrer leur savoir-faire. Surtout, ils sont guidés par l’idée exclusive de l’imitation, imitation de l’objet naturel, dans tous ses détails, du plus près possible, afin qu’on dise qu’ils « contrefont » admirablement la nature. Voilà l’esprit qui anime les maîtres du XIVe et du XVe siècles et qui les pousse aux chefs-d’œuvre. Il est impossible d’en imaginer un plus différent du système des novateurs.

Ce n’est pas qu’on ne trouve, çà et là, chez eux des traces de tempérament artistique. Dans toutes les parades qui ameutent la foule, il y a des gens de talent et il y a des gens sincères. Malheureusement ceux qui sont sincères n’ont pas de talent et ceux qui ont du talent ne sont pas sincères. Ils restent quelque temps dans la bagarre, le temps qu’il faut pour que leurs noms criés par les frénétiques soient entrés dans les oreilles de la foule, puis ils s’éloignent sur la pointe du pied et on les retrouve un jour dans les parages de l’Institut. Exception faite pour les très jeunes gens. Dans leur ferveur de néophytes, ils peuvent croire, un instant, qu’ils suivent une idée nouvelle. Car ce que les jeunes gens appellent des idées nouvelles sont simplement des idées