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aussi trop facile. Il y a trop de gens, d’autant plus enclins à sacrifier tout ce qu’on apprend dans les écoles qu’ils n’ont encore à peu près rien appris. Leur dédain pour le métier vient à point pour masquer leur insuffisance du métier. Ils s’évertuent à dessiner outrageusement mal, mais, s’ils ne l’avaient point fait, on se serait aperçu qu’ils dessinaient faiblement et sans aucune personnalité. Pareillement, ils assemblent des couleurs plâtreuses, opaques, agressivement discordantes, mais, s’ils avaient tenté de faire œuvre de coloriste, ils auraient révélé qu’ils manquaient d’éclat ou de finesse dans les couleurs. On renverse la casserole quand le ragoût ne s’annonce point bon : c’est la cuisine de l’avenir ! s’écrie-t-on, et on trouve toujours des esthéticiens pour le croire. Et, non seulement ces naïfs pédagogues le croient, mais ils en donnent, dans un langage digne des médecins de Molière, des raisons profondes qu’ils n’entendent guère eux-mêmes et prouvent, rien que par le choix des termes, qu’ils ne savent point ce qu’ils disent. Les vocables scientifiques ne coûtent rien et au moment précis où l’on ne peut plus montrer aucun rapport entre l’art et la nature, ni produire la moindre émotion, on se met à parler « énergétique » ou « cinétique » et l’on se réfugie dans le galimatias. Telle la seiche, pressée par ses adversaires, se sauve en les noyant dans l’obscurité qu’elle répand autour d’elle.

Comment tout cela, dans un pays de bon sens et de clarté comme le nôtre, peut-il se produire ? Comme se sont produites déjà toutes les réformes, vouées à un avortement : par réaction et par imitation, réaction contre une école récente dont on est fatigué, imitation ou du moins retour à l’esprit présumé d’une très ancienne école, assez profondément enfoncée dans le passé pour qu’on en joue à sa guise. La réaction, ici, est contre l’Impressionnisme. Il était facile de prévoir, et l’on a prévu en effet il y a longtemps, que lorsque l’Impressionnisme aurait cessé de plaire, il serait remplacé par une école dont le principal caractère serait de mettre en valeur et d’outrer à l’extrême quelque chose que l’Impressionnisme aurait négligé. Cela n’a pas manqué d’arriver. Or ce que l’Impressionnisme méprisait, c’était la ligne, — il n’y a pas de lignes dans la nature, disait-il ; — puis l’aspect solide et dense des corps, — les corps ne sont que des apparences colorées ; — enfin le ton local, propre à chaque objet, — une chose n’a pas de couleur spécifique, elle en a une foule