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toujours appelé trois ou quatre fois pendant l’action de grâces. »

Le 14, rachat de deux esclaves : un père de famille, et un jeune homme de quinze ans, que Frère Charles a appelé provisoirement Paul.

La fin de l’année approche. Les constructions et réparations du pauvre ermitage sont achevées, — en attendant que des Frères annoncent leur prochaine venue et ramènent ainsi les ouvriers au chantier. C’est la vie ordinaire, définitive, qui commence. Elle doit être étroite autant que possible, et Frère Charles, songeant à cette obligation de son état, croit meilleur de se priver des services qu’un soldat lui rendait, chaque matin, en l’aidant à « faire le ménage. » On lui représente qu’il est fatigué ; il maintient sa décision ; il donne cette réponse, spirituelle et si grande : « Jésus n’avait pas d’ordonnance. »

Son unique souci est celui des âmes. Grâce aux deux noirs qu’il a rachetés, il peut exposer le Saint-Sacrement, dans la chapelle qui ne sera pas tout à fait déserte, aux heures où les soldats sont retenus au camp. Et puis, le jour de Noël et le lendemain, « joie immense : » des Marocains viennent lui rendre visite. Avec quelle amitié il dut les recevoir, et de quels rêves il les suivit, qu’ils ne pouvaient entendre !

En ces mêmes jours, il eut d’autres surprises, d’une autre sorte. Noël est une époque où, dans la chrétienté, depuis bien des siècles, il est d’usage que les amis échangent des cadeaux. Frère Charles vit arriver, dans l’ermitage, un commissionnaire portant un paquet léger, soigneusement ficelé, que les âniers de la poste avaient remis au bureau des affaires indigènes. « D’où cela vient-il ? de l’Orient ! On se souvient encore de moi ? » On se souvenait si bien de lui que les religieuses d’un des couvents de Terre Sainte où il avait passé, voulant faire plaisir à l’ermite qu’elles avaient connu jardinier, portier, commissionnaire, lui envoyaient un présent de Noël. Mais que donner à un ermite, quand soi-même on est pauvre ? D’abord, des reliques pour la chapelle. Il y en avait plusieurs, dans le paquet : reliques de saints, parcelles du Saint-Sépulcre ou du rocher de la Nativité. Les donatrices y avaient joint des fleurs de la Palestine, disposées en bouquet et collées sur des feuilles de velin, puis, ayant cherché de quels menus objets un Père de la Thébaïde pourrait avoir besoin, pour son ménage, elles avaient enfin enfermé, sous la même enveloppe, une cuillère de bois, une souricière