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donc, comme pour vous-même, acquérir le captif, et tenez-moi au courant des négociations. » Celles-ci durèrent trois jours. Nous avons encore les billets que Frère Charles adressait à l’adjudant. « Ajoutez encore un douro, ou deux douros, mon cher J... ; mais je ne puis faire plus, non, je ne puis. »

Le lendemain, nouvelle lettre : « Eh bien ! oui, allez jusqu’à 400 francs, sans hésiter ni marchander... La liberté de notre frère est sans prix... Jésus, qui aurait pu nous racheter d’un mot, a voulu nous racheter de tout son sang, pour montrer son amour par le prix qu’il donnait. Suivons l’exemple de Dieu ! »

A la fin, le maître céda. L’esclave s’en fut remercier le grand marabout chrétien qui l’avait délivré. Ils causèrent un moment, puis Frère Charles dit au Berâber :

— Te voici libre : que vas-tu faire ?

— Laisser partir ceux qui m’avaient pris.

— Et ensuite ?

— Je retournerai chez mon premier maître, où j’étais bien. Ma femme est là encore.

« 12 juillet 1902. — Premier baptême fait à Béni Abbès : Marie-Joseph Abdjesu Carita, petit nègre de 3 ans et demi.

« 21 juillet. — Quatre soldats de la garnison sont morts pendant ce mois d’extrême chaleur. Aucun n’a refusé les Sacrements ; deux sont morts très pieusement après une longue maladie...

« 13 août. — Je suis toujours seul, — seul religieux, — avec Abdjesu, un nègre de vingt-cinq ans racheté et libéré il y a quelque temps, un artilleur qui me sert la messe, des tirailleurs qui réparent la chapelle dont la toiture faiblit. La Fraternité, très silencieuse la nuit et de dix heures à trois heures de l’après-midi, est une ruche de cinq heures à neuf heures du matin, et de quatre heures à huit heures du soir. Je ne cesse de parler et de voir du monde : des esclaves, des pauvres, des malades, des soldats, des voyageurs, des curieux : ceux-ci, — les curieux, — je n’en ai plus que rarement, mais les esclaves, les malades, les pauvres augmentent... Je célèbre la sainte messe, — sauf le dimanche et les grandes fêtes, je la dis, ces jours-là, à l’heure que les militaires désirent, — à laquelle jamais personne n’assiste en semaine, avant le jour, pour n’être pas trop dérangé par le bruit, et faire l’action de grâces un peu tranquille : mais j’ai beau m’y prendre de bonne heure, je suis