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de tirailleurs en fit la remarque au Père, qui répondit : « Jésus, sur la croix, n’était pas étendu. »

Les ouvriers continuaient de travailler. Au delà de la sacristie, ils édifièrent des cases en briques et en boue sèche, qui prirent le nom de cellule Saint-Pierre et de cellule Saint-Paul. Et de la sorte, ces petites constructions, étant perpendiculaires au chevet de la chapelle, formèrent, avec la nef, un angle droit. En arrière, s’étendrait bientôt une cour qui serait appelée « cour de la retraite. » Frère Charles bâtit encore quelques cases, « la chambre des hôtes non chrétiens, » une infirmerie où venaient se faire soigner les malades de Béni Abbès et des tentes voisines, un débarras, les murs d’une seconde cour, la « cour de l’aumônerie. » Il espérait qu’un jour, bientôt peut-être, un prêtre inconnu, sollicité par la même vocation qui avait poussé, vers les âmes des pauvres gens de l’oasis, l’ancien lieutenant de cavalerie, viendrait le rejoindre à Béni Abbès, et que l’ermitage compterait deux compagnons, en attendant mieux. Les ouvriers, hommes de troupe, débrouillards, beaucoup plus jeunes que lui, travaillaient volontiers pour un pauvre comme eux, qu’ils devinaient meilleur et dont l’extrême bonté les touchait secrètement. Il ne se séparait point d’eux, aux heures où son règlement l’obligeait au travail manuel ; même au milieu du jour et quand la chaleur est extrême, on le voyait, comme eux, parcourir le terrain vague, autour de l’ermitage, se baisser, ramasser et soulever une pierre qui servirait aux fondations, et prendre la file, d’habitude le dernier, pour rentrer dans le chantier. La pierre qu’il rapportait sur l’épaule n’était pas très grosse quelquefois, et il s’excusait : « Mes bons amis, disait-il en riant, je sais bien, je suis la mouche du coche, mais je fais selon mes forces. »

Frère Charles songea qu’il fallait borner et clore tout le terrain de la Fraternité, car il avait résolu de vivre en clôture, et de ne pas sortir des limites sans une raison grave. Dans les premiers temps, il s’était contenté de marquer, avec des cailloux de la grosseur d’un œuf, disposés en lignes, les frontières de son domaine. Un des soldats qui l’ont le plus souvent approché, en ce temps-là, m’a raconté qu’il revenait parfois au camp après le soleil couché. Attentif à se concilier les âmes de bonne volonté, plus poli et prévenant encore avec les humbles gens, auxquels on ne prend point garde et qui le sentent, qu’avec les grands et