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les pentes de la montagne en face, et tout le vallon, entre les deux grands bois, n’était qu’un fleuve ondulant d’avoine mûre et de blé mûr.

Le monastère, tel qu’il est aujourd’hui, n’est plus celui où fut accueilli Charles de Foucauld. Les cellules des religieux, la salle capitulaire, l’église, ont été détruits par un incendie, le 27 janvier 1912. Mais les moines semeurs de forêts sont aussi des rebâtisseurs. Ils ont reconstruit une abbaye nouvelle, à 1 100 mètres d’altitude, un peu plus haut que l’ancienne dont les ruines commencent à appartenir aux arbustes sauvages et aux herbes.

Quand Charles de Foucauld se présenta à Notre-Dame des Neiges, et demanda d’être admis parmi les novices, on l’interrogea. La règle de Saint Benoît prescrit aux supérieurs d’examiner soigneusement les postulants, de les éprouver en les interrogeant, afin de bien connaître et la personne de ces futurs frères, et les motifs qui les ont amenés à la porte de l’abbaye. Dom Martin, abbé de cette communauté de travailleurs silencieux, n’ignorait pas que l’homme qui parle de soi volontiers se déclare ainsi porté à la complaisance et à la vanterie. Il demanda :

— Que savez-vous faire ?

— Pas grand’chose.,

— Lire ?

— Un petit peu.

L’abbé vit par là, et par bien d’autres réponses du même ton, que ce lieutenant de chasseurs d’Afrique était, au contraire, peu causant et déjà fort modeste. Ayant fini de l’interroger, il le pria de balayer un peu, pour voir. Il s’aperçut, au premier coup de balai, que le postulant n’avait pas été exercé. On compléterait son éducation.

Et c’est ainsi que le vicomte Charles de Foucauld entra au noviciat de la Trappe de Notre-Dame des Neiges, pour devenir Frère Marie-Albéric.

Le souvenir qu’il a laissé parmi les Frères de ce grand ordre est celui d’un religieux serviable envers tous, très pieux, presque excessif dans son austérité, mais pondéré dans son jugement : en somme, le souvenir d’un personnage et d’un saint. Frère Marie-Albéric édifia surtout le monastère par son humilité. Il était simple à la perfection, et savait comment faire,