Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vision du peintre est un peu embuée et un peu imprécise, mais pleine de jolies nuances grisâtres et de parcelles délicates. J’avoue toutefois que ma grande joie a été dans cette salle la découverte de Mathieu Maris. C’est le moins connu du trio, et pour mon goût le plus charmant. Il a visiblement fréquenté les Anglais, et certaines de ses idées se ressentent de l’influence de Rossetti. Vers la fin de sa vie, il semble avoir cédé à un penchant mystique où la forme se dissout, comme s’il avait cherché à rendre les effets de Carrière sans avoir le génie sculptural et volontaire de ce beau maître. Mais quel œil délicat, quelles matières précieuses, quelle finesse d’émail et de gravure dans les morceaux de la bonne époque, dans ces petits paysages si fins, presque sans ciel, où le soir épanche sa cendre ! Je retrouve dans cette âme aimable, mélancolique, et comme sous un voile, un peu du charme de Vermeer.

Parmi les peintres contemporains, vivants encore ou morts à peine, il ne manque pas de figures remarquables : M. Breitner est le peintre des aspects sordides d’Amsterdam et de nudités somptueuses ; M. Bauer promène de Benarès à Ispahan ses regards altérés de la magie du passé et des enchantements solaires ; il est le pendant pittoresque de ce qu’est dans le roman l’illustre Louis Coupérus. M. Toorop est sans doute le plus inquiet et le plus contradictoire de tous les peintres de ce temps : on l’a vu dessiner des portraits d’un style grandiose et appliqué, rappelant la fresque d’un Uccello ou d’un Piero della Francesca ; on l’a vu donner ensuite de maigres allégories d’une complication hindoue et d’un hiératisme sensuel et préraphaélite ; on le voit à présent brosser avec un balai ivre des portraits aveuglants et multicolores comme une porte de cinéma. Cependant, M. Voerman continue aux bords de la Meuse à faire de petites peintures nuageuses et d’un charme volatil, digne de van Goyen.

Il est bien difficile de résumer en une formule tant de tendances et de tempéraments divers. Peut-être le mot de ces recherches se trouve-t-il dans la réponse d’Anton Mauve. Comme on lui reprochait ses éternelles vaches : « Des vaches, moi ? Je ne peins jamais que des effets de lumière ! » Dans cette poursuite de la lumière, où quelques-uns s’égarent et trébuchent, deux peintres, aujourd’hui disparus, jouent un rôle important. Il est inutile de rappeler ce que l’impressionnisme français, celui des Pissarro, des Monet, des Sisley, doit au peintre Jongkind. Les quinze ou vingt aquarelles qu’on nous montre de lui sont autant de chefs-d’œuvre. Jongkind a bien rendu à nos impressionnistes le service que Millet avait prêté à Israëls. Mais peut-être