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Si du reste on comparait le catalogue de l’exposition avec la liste des peintres loués par Fromentin, on ne manquerait pas d’observer d’assez notables différences ; on verrait que les admirations d’il y a cinquante ans et celles d’aujourd’hui ne sont pas toujours les mêmes, C’est ainsi par exemple que, pour commencer par les maîtres, nous avons à présent des préférences marquées pour les œuvres de la dernière époque de Hals et de Rembrandt : l’exposition du Jeu de Paume ne nous offre plus guère que de celles-là. Ce qui nous plaît de Hals, ce ne sont plus les prouesses étincelantes du coloriste dans sa manière fleurie : nous ferions presque des objections à la palette dorée et au jovial éclat du Joyeux buveur d’Amsterdam, un triomphant morceau qui a pour nous le tort d’être un peu trop visiblement un morceau de bravoure. Nous pardonnons du moins, en faveur de la beauté du ton et pour le goût des zébrures noires sur la manche rouge, au fameux Guitariste de la collection R. de Rothschild : c’est l’exemplaire incomparable dont celui d’Amsterdam n’est qu’une redite amollie. Mais ce qui nous enchante, c’est le Frans Hals décoloré de 1650, le Frans Hals de la fin, touché par l’influence de Rembrandt, — autant qu’un tempérament de cette trempe se laisse modifier par un autre, — c’est le dessinateur avec toutes ses impatiences et toutes ses brusqueries, sa manière incroyable de chiffonner un gant, d’exprimer toutes choses sans rondeurs et sans minuties, dans le langage le plus abrupt et le plus elliptique, et qui trouve moyen d’être le plus raffiné des peintres en éliminant toute couleur pour ne conserver qu’une gamme d’argent, faite de noirs et de gris. A ne considérer que le plaisir et l’espèce d’excitation que donne le spectacle d’une exécution extraordinaire, il n’y a rien de plus « amusant, » même dans les Banquets les plus diaprés de la série fameuse du musée de Haarlem, que le bouquet de collerettes, de valeurs toutes diverses, du Portrait de famille de la collection Otto Kahn, que la manière prestigieuse de traiter les accessoires et d’exprimer les blancs par les locutions les plus piquantes et les plus imprévues ; et il n’y a pas de musée au monde qui nous offre à la fois la réunion de deux portraits comme la Vieille femme prêtée par un amateur de Bruxelles, ou la Femme à la rose qui nous vient de Ferrières, — un tableau sans prix où Frans Hals, par l’élégance de la pose et la magie des gris, efface tout le luxe des princesses de van Dyck.

De même, nous sommes tentés de trouver bien bourgeois le Rembrandt des grands portraits de 1634, au moment où le jeune mari de Saskia n’a d’autre ambition que d’être le portraitiste à la