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En fait, ils ont séparé sa cause de celle des autres « philosophes, » et, bien loin de voir en lui un adversaire, ils le considèrent comme un allié.

Cela, à très juste titre. « Toute réaction religieuse, a dit profondément Renan, profite d’abord au catholicisme. » Rousseau, en réagissant contre l’irréligion voltairienne, en conseillant à ses « paroissiens » de conserver la religion de leurs pères, — à cet égard, Napoléon est un de ses disciples, — en restaurant le sentiment religieux dans ses droits, a travaillé pour le catholicisme. Si, psychologiquement et historiquement, on peut considérer le protestantisme, surtout sous sa forme « libérale, » comme un état de pensée intermédiaire entre le catholicisme et la libre pensée, on conçoit aisément qu’il puisse fournir un abri provisoire et également hospitalier aux âmes qui se détachent du catholicisme et à celles qui se détachent de la libre-pensée. Cette station d’attente et de recueillement « sur les chemins de la croyance, » Rousseau l’a ménagée aux nombreuses âmes contemporaines qui, lasses de l’incrédulité agressive et railleuse, cherchaient en vain où se prendre. Il a profondément senti et fait sentir l’incomparable poésie et, comme il l’a dit lui-même, la « beauté » de la croyance religieuse. Et, ce faisant, il a dégagé l’un des éléments essentiels du romantisme européen.

Après lui, il restait un pas décisif à franchir. Dans ce pays de logique, de précision latine et d’hérédité catholique qu’est la France, les âmes ne pouvaient s’attarder longuement aux régions vaporeuses et incertaines des demi-altitudes morales. Être religieux, pour un Français, c’est être chrétien ; et être chrétien, c’est être catholique. Vienne un grand poète qui, recueillant l’héritage de Jean-Jacques, approfondissant sa pensée en tous sens, la poussant à ses dernières conséquences, rêve d’écrire « le beau livre » que Jean-Jacques avait plutôt entrevu que conçu et d’y exprimer tout l’idéal du jeune siècle qui se lève. Ce poète s’appellera Chateaubriand et, catholique converti par Jean-Jacques, il osera intituler son livre le Génie du Christianisme.


VICTOR GIRAUD.