Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regardait comme un malade, dont le tempérament sain et la forte constitution donnaient les plus grandes espérances. » Diderot, plus tard, dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron, fait une constatation analogue. « Par quel prodige, écrivait-il, celui qui a écrit la Profession de foi du Vicaire savoyard, qui a tourné le Dieu du pays en dérision, en le peignant comme un agréable qui aimait le bon vin, qui ne haïssait pas les courtisanes, et qui fréquentait volontiers chez les fermiers-généraux, celui qui traitait les mystères de la religion de logogriphes absurdes et puérils, et les miracles de contes de Peau d’Ane, a-t-il, après sa mort, tant de zélés partisans dans les classes de. citoyens le plus opposés d’intérêts, de sentiments, et de caractère ? La réponse est facile : c’est qu’il s’était fait antiphilosophe. » Et Mme de Genlis déclarait de son côté : « Les ecclésiastiques et les dévots lui ont tous pardonné au fond de l’âme ce qu’il a écrit contre la religion, en faveur des hommages si répétés qu’il a rendus à l’Evangile. »

On pourrait multiplier les témoignages. « De l’utilité de la Religion, — a écrit Jean-Jacques dans l’un de ses Dialogues, — titre d’un beau livre à faire, et bien nécessaire ! Mais ce titre ne peut être dignement rempli ni par un homme d’Eglise, ni par un auteur de profession. Il faudrait un homme tel qu’il n’en existe plus de nos jours et qu’il n’en renaîtra de longtemps. » Ce livre, qu’il n’est pas le seul à souhaiter, et qu’un autre écrira après lui, on sait gré à Rousseau de l’avoir rêvé, et d’en avoir esquissé certains chapitres. Depuis la mort de Massillon, et même de Fénelon, la cause de la religion n’est pas très sérieusement défendue en France. Non qu’il n’y ait d’excellents prêtres, et qu’ils ne fassent leur métier d’apologistes avec conviction et avec conscience. Je suis de ceux qui pensent que, sur la foi des Encyclopédistes, on n’a pas encore rendu pleine justice aux défenseurs de la tradition religieuse. Je sais, par exemple, tel opuscule de Bergier, sa Réponse aux conseils raisonnables, qui est moins injurieuse, plus solide et aussi bien tournée que la brochure de Voltaire à laquelle il répond. Il y a d’autres exceptions, fort honorables, et que je signalerai quelque jour. Mais enfin, il faut bien reconnaître, d’une manière générale, que ces apologistes manquent trop souvent de talent, et qu’ils en sont trop restés, pour la plupart, à leurs cahiers de Sorbonne. Leurs lourds syllogismes n’ont pas