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passé un jour avec vous ; et moi, malheureux ! il me faudra attendre l’autre vie ! Mon cher maître, tout mon cœur s’émeut à votre seul nom, il voudrait s’élancer hors de moi, il se transporte sur les crêts de Montmorency ; il tressaille en découvrant votre toit : c’est là-dessous, dit-il, qu’il demeure ; il entre en tremblant ; il entend votre voix ; un doux frémissement le saisit ; il se précipite à votre chevet, et trempe vos mains de ses larmes. O Rousseau ! de combien de cœurs peins-je ici l’état ? Si tu pouvais entendre les bénédictions qui te cherchent de tous les lieux où, tu es connu, les vœux qui s’adressent au ciel en ta faveur ! Adieu, la tendresse devient parfois despectueuse (sic) : adieu, mon cher maître, mon père, aime-moi comme je te respecte et je t’aime.


À ce dithyrambe d’un pasteur fait écho la confession d’un prêtre catholique, l’abbé de Carondelet :


Vous m’avez fait connaître qu’il est un Dieu ; maintenant je l’adore ; il me pardonne sans doute, ce Dieu de bonté, de l’avoir méconnu ; je n’ai pas joint la malice aux doutes qui m’ont agité si longtemps… Vous avez changé mon cœur ; je m’en aperçois à la tranquillité intérieure et au désir de bien faire que j’éprouve. Toujours sous les yeux de Dieu, je le regarde comme un père plein de tendresse ; je n’ose rien faire sans le prendre à témoin, et souvent je lui accuse mes défauts, mes erreurs, mes faiblesses avec une émotion qui doit lui plaire… Je respecte la foi du catholique, mais ce n’est pas la mienne ; devant les mêmes autels, lui et moi n’éprouvons pas les mêmes sentiments, quoique la même intention nous unisse dans un culte consacré par les lois…


À un demi-siècle de distance, un autre disciple de Jean-Jacques, Eymar, évoque ainsi l’extraordinaire impression que lui fît la lecture de l’Émile :


Mes yeux couverts d’un nuage s’ouvrent à la lumière, se dessillent ; une clarté bienfaisante pénètre au-dedans de moi, et me découvre un nouveau monde moral, dans lequel je me crois subitement transporté. Je peindrais difficilement tout ce que j’éprouvais de ravissant dans ces méditations solitaires… ; la paix et le silence de la nuit, tout, jusqu’à la lueur vacillante de la lampe, concourait à rendre salutaires et profondes, dans mon cœur, les impressions qui devaient le transformer et lui donner une autre existence. Je baisais le livre, je l’arrosais de mes larmes, je ne pouvais plus m’en arracher. Un soir que je me rappelle très distinctement, la révolution fut si complète que, dès ce moment, je me sentis un nouvel être. Mes devoirs, qu’auparavant je dédaignais, me devinrent doux et sacrés.


Évidemment, pour toutes ces « âmes secondes, » comme se