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sur son exemplaire : « Jacques, pourquoi insultes-tu tes frères et toi-même ? » Et encore : « Quoi ! tu fais l’hypocrite ! Tu oublies les guerres contre les Ariens, contre les Albigeois, Luthériens, Calvinistes, Anabaptistes, etc., le meurtre de Charles Ier, de Henri III, de Henri IV, la conspiration des poudres, la Saint-Barthélémy, les massacres d’Irlande, les Cévennes, les Calas ! » Et Diderot, de son côté, écrivait à Mlle Volland : « Je vois Rousseau tourner tout autour d’une capucinière, où il se fourrera quelqu’un de ces matins. Rien ne tient dans ses idées ; c’est un homme excessif, qui est ballotté de l’athéisme au baptême des cloches. Qui sait où il s’arrêtera ? »

Cette incohérence logique qui étonnait Diderot, elle est en effet partout dans la Profession de foi du Vicaire savoyard. La cause en est que dans ce manifeste, qui forme en quelque sorte la somme des idées religieuses de Rousseau, sont venues se déposer, comme par alluvions successives, les préoccupations, les croyances et les incroyances des divers milieux qu’a traversés tour à tour Jean-Jacques, et parmi lesquelles son âme mobile et un peu passive n’avait pas su délibérément choisir. Son ardent désir de sincérité y trouvait d’ailleurs son compte : à ne sacrifier aucune des idées qui avaient pu, un moment, retenir son attention et solliciter son adhésion, il se donnait à lui-même l’illusion d’explorer tous les replis de sa conscience, d’embrasser la vérité sous tous ses aspects. Rien n’est donc plus facile que d’opposer l’une à l’autre les diverses tendances de la Profession de foi ; mais aussi, rien n’est plus vain. Car, à lire d’ensemble tout le morceau, sans s’arrêter aux objections particulières qui, chemin faisant, peuvent se dresser dans notre esprit, on s’aperçoit que ces tendances divergentes finissent par s’équilibrer et se fondre dans une inspiration générale qui donne à la Profession tout son sens et toute sa portée. Quand Voltaire, en isolant quelques pages du morceau, faisait collaborer Rousseau au Recueil nécessaire et l’enrôlait parmi les coryphées de l’anti-christianisme, il le trahissait odieusement, et il s’en doutait bien, lui qui, en lisant l’Émile pour la première fois, avait émaillé son exemplaire d’injures à l’adresse de l’auteur de tant d’ « impertinences [1]. » Il n’est pas douteux en

  1. Ces notes de Voltaire en marge de la Profession de foi ont été publiées pour la première fois par M. Bernard Bouvier dans les Annales Jean-Jacques Rousseau de 1905.