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parties les plus neuves du livre de Maurice Masson que celle où il étudie, avec un luxe de détails circonstanciés qu’on ne nous avait pas encore fournis, ce qu’il appelle « les années catholiques » de Jean-Jacques [1]. Elles se sont prolongées longtemps, ces années catholiques, plus longtemps qu’on ne semble le croire d’ordinaire, dix-sept à dix-huit ans, de 1728 à 1745 ou 1746, ainsi que le conjecture, avec la plus grande vraisemblance, son pénétrant et exact historien, et, comme nous le verrons bientôt, elles ont laissé leur trace profonde sur la pensée de l’auteur de l’Émile. Mais comme on se tromperait si, sur la foi des Confessions, on s’imaginait que Jean-Jacques a quitté la religion de son enfance à la suite d’un long et douloureux drame de conscience ! Le drame semble avoir été très pacifique, et, en tout cas, il a été très court : Maurice Masson a publié le fac-similé du registre de l’hospice du Spirito Santo, qui établit que le jeune « citoyen de Genève » se convertit au « papisme » en... neuf jours. Conversion évidemment très superficielle, mais qui s’approfondit dans la suite, et qui, jusqu’à son installation définitive à Paris, paraît bien lui avoir assuré une parfaite tranquillité spirituelle. Non seulement il vit en excellents termes avec les catholiques, prêtres ou laïques, qu’il fréquente, mais il entre au séminaire, et s’il en sort au bout de quelques mois, ce n’est pas à la suite d’une crise morale : ni sa foi, ni ses pratiques religieuses n’ont subi la moindre atteinte ; il croit fermement aux miracles ; s’il rédige son testament, il y « proteste de vouloir vivre et mourir dans la sainte foi de la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine. » Enfin, nous avons de lui, datant de cette époque, deux belles et éloquentes prières, qui ont été publiées intégralement pour la première fois par le plus éminent peut-être des « rousseauistes » genevois, M. Théophile Dufour, et qui paraissent d’une orthodoxie impeccable :


Dieu tout « puissant, Père éternel, mon cœur s’élève en votre présence, pour vous y offrir les hommages et les adorations qu’il vous doit ; mon âme, pénétrée de votre immense majesté, de votre puissance redoutable et de votre grandeur infinie, s’humilie devant vous, avec les sentiments de la plus profonde vénération et du plus respectueux abaissement... Agréez mon repentir, ô mon Dieu !... Je me

  1. Voyez aussi, dans la Revue des 15 février, 15 mars et 1er septembre 1895, les excellents articles de M. Eugène Ritter, et son livre sur la Famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau, Hachette, 1896.