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autres, ce credo a exercé à son tour une profonde influence sur la pensée philosophique et religieuse du temps. L’historien se croit tenu de démêler avec toute la précision possible ce qui s’est incorporé de la pensée et de l’âme de Jean-Jacques aux idées de ses contemporains et de ceux qui l’ont suivi. Par d’abondantes citations empruntées aux auteurs les plus divers, ou à de simples correspondants, il nous fait suivre à la trace et comme toucher du doigt l’action, subtile et profonde, des prédications du vicaire savoyard ; il nous fait assister, dans des pages extrêmement curieuses et substantielles, à la transformation progressive de la pensée de Rousseau en celle de Chateaubriand, et à ce qu’il appelle « la préparation du Génie du Christianisme. » Arrivé à ce livre mémorable, il s’arrête, estimant qu’ « après 1802, le plus vivace du rousseauisme religieux est confisqué par l’auteur du Génie du Christianisme. » Peut-être pourrait-on objecter que l’influence de Rousseau n’est pas épuisée en 1802, puisqu’on la retrouve encore jusque dans Victor Cousin, Ernest Renan et Auguste Sabatier. Mais, outre que Maurice Masson n’est pas sans avoir un peu pressenti l’objection, il était libre, après tout, d’avoir « voulu se borner à Jean-Jacques ; » et sa forte, savante et fine construction restera l’une des plus importantes contributions à l’histoire des idées qu’il y ait eu depuis le Bossuet historien du protestantisme, de M. Rébelliau.

Ce n’est pas sans dessein que je rapproche les deux œuvres. Comme M. Rébelliau, Maurice Masson était un érudit à la française[1] : je veux dire que l’historien philosophe était en lui doublé d’un écrivain. Il avait un style : un style net, souple, élégant, un peu coquet, où abondent les jolies trouvailles, les heureuses et vives formules. Ce style, que n’arrivent pas à alourdir le copieux appareil d’érudition, l’abondance des citations, la minutie des méthodiques analyses, prend toute sa valeur dans les pages, presque trop brèves, où, ses preuves fournies, il dégage et résume les résultats successifs de ses recherches. On se prend à regretter, quand on a lu ces trois volumes, que l’auteur, ses thèses de doctorat une fois soutenues, n’ait pas eu le loisir d’en présenter au grand public un abrégé

  1. C’est Maurice Masson qui devait écrire, dans l’Histoire de la Nation française, de M. Hanolaux, le volume consacré à la littérature française depuis Ronsard.