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chambre. » Quatre ou cinq instruments, pas davantage. Mais que de musique, et laquelle ! en si peu de sons ! Combien de fois depuis n’ai-je pas rêvé d’une loi salutaire, qui ne laisserait à certains assembleurs de sonorités innombrables et vaines que l’usage de ces modiques ressources ! Deux violons, un alto et un violoncelle ; quand ils auraient fait de ces quatre « parties, » ou de ces quatre voix, ce qu’un bon musicien peut en faire, on verrait à leur permettre peu à peu l’usage des autres, mais un usage prudent, économe, et toujours surveillé.

De temps en temps, un concerto de piano figurait au programme. Nos amis appelaient cela nos « jours de magnificence. » Alors le quatuor à cordes était doublé. On y ajoutait une contrebasse, et ma mère exécutait sur un second piano les parties, réduites à cet effet, des instruments à vent. Paladilhe me préparait à mon rôle de soliste. Avec infiniment de goût il composait les « cadences » où pourrait se donner carrière l’apprenti virtuose. C’est un répertoire admirable que celui des concertos de piano. Deux au moins, de Beethoven, comptent parmi les chefs-d’œuvre symphoniques du maître : le quatrième et le cinquième et dernier, surnommé « l’Empereur. » Parmi ceux, — beaucoup plus nombreux, — de Mozart, il en est deux, au moins, qui déjà me semblaient et me paraissent encore au-dessus de tous les autres : l’un en ré mineur, avec un premier « tempo » plein de grandeur et de force, que suit une « romance » divine ; l’autre en mi bémol, dont le finale annonce un finale beethovenien, après un andante à la Gluck, où se trahit, à la fin surtout, la plus profonde et pourtant la plus noble douleur.

Ces beautés, et d’autres encore, je commençais à faire mieux que les soupçonner et les entrevoir. Le cœur me battait pendant le premier tutti d’orchestre, de notre orchestre en miniature, avant l’entrée du piano solo. Je me préparais à cette entrée avec recueillement, avec un peu de crainte aussi, mais surtout avec une juvénile et légère allégresse. Le moment était venu. Le solo commençait. Alors, de ne plus entendre que moi, de voir, immobiles et muets, nos amis et mes partenaires n’écouter que moi, cela me causait une émotion délicieuse où se mêlait quelque innocent orgueil. J’étais donc, au moins pour un instant, pendant quelques mesures, l’interprète unique d’un grand musicien. Vraiment je croyais avoir charge d’âme, de