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Ou bien :

Le gondolier, dans sa pauvre nacelle,
Retourne au toit où le bonheur l’attend.
La cloche sainte à l’église l’appelle.
Il va prier, il va dormir content.


Cela se trouve, si je ne m’abuse, dans la Reine de Chypre, d’Halévy, que Wagner a célébrée autrefois.

Ou enfin cette autre romance :


Et moi, dans mon bonheur de les voir si contents,
Je me mis à rêver comme on rêve à vingt ans.


Il y avait : « à rêver, » ensuite « à pleurer. « Le verbe changeait à chaque couplet. « Ouais ! Ouais ! » faisait l’oncle Jules, avec le même accent que sa fille. C’était sa manière, unique et brève, de montrer qu’il était content lui aussi. Musique de chant, musique de danse, voilà mes deux plus anciens souvenirs de musique et de musicien.

Ils en évoquent d’autres, du même temps, et qui me sont plus chers. Je donnerais volontiers pour épigraphe à ces premières pages le vers filial de François Coppée : « Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes. » Ma mère fut le sourire, — trop souvent hélas ! à travers ses larmes, — de mon enfance, en la vieille maison parisienne où je ne saurais dire que je vis le jour, tant elle était sombre. Donnant d’un côté sur une cour étroite et de l’autre sur une rue peu fréquentée, le silence en égalait presque la tristesse. Le coup du marteau contre la porte cochère, la cloche et l’horloge des religieuses voisines, tel était pour moi l’unique langage des choses, leur seule voix. Pourtant, les soirs d’hiver, d’autres bruits, moins familiers, arrivaient jusqu’à ma chambre. J’aimais et redoutais également de les entendre. Un orgue de Barbarie jouait dans la rue. Puis un homme commençait à crier, ou plutôt à chanter d’une voix traînante : « Lanterne magique ! » Son appel, prolongé dans les ténèbres, me charmait et m’effrayait tout ensemble. Pour y prêter l’oreille, je levais la tête de dessus mon pupitre d’écolier. J’avais bien envie que l’homme montât, mais je sentais aussi que, s’il était monté, j’aurais eu plus peur encore. L’orgue, autant que la lanterne, me semblait magique. Tous les deux me représentaient un monde inconnu, mystérieux. Je le peuplais