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LE VISITEUR CÉLESTE


O filia lucis, citharède de Dieu,
Voici que le soir vient, dans des langueurs d’automne ;
Tes doigts sont fatigués, ton visage est en feu,
Et l’or de tes cheveux comme un nimbe rayonne.

Indifférente aux bruits montant vers Hohenbourg,
Clameurs de coqs, fracas des buccines de chasse,
Cris des serfs demi-nus, courbés sur le labour,
Rauques soupirs des vents, pèlerins de l’espace ;

Solitaire, appuyée au pupitre massif,
Les yeux illuminés par un modèle insigne,
Tu fis, d’un pinceau prompt et d’un stylet actif,
Resplendir la couleur et triompher la ligne.

Tu peignis tout le jour, sur les vélins polis.
Les messagers divins, conseillers de ton âme :
Des anges dont la robe a de sévères plis,
Mais dont la main légère allume le cinname.

Ton labeur est fini : la lumière décroît,
Les troupeaux vont rentrer, traînant des odeurs d’herbes :
Dans le fond des vallons s’épand un vague effroi,
Les rochers peu à peu cachent leurs fronts superbes.

Au lieu de se montrer nettement, un par un,
Dressant leur fruit de bronze à leur extrême cime,
Les sapins orgueilleux, sous un voile commun,
Sont déjà confondus dans un unique abîme.

Or devant la fenêtre au cintre géminé.
Posant sur le granit ta main fébrile encore,
Tu regardes le soir, de roses couronné,
Tu contemples sans fin le couchant qui se dore.

Des orgues lentement pleurent la mort du jour,
La lune rose porte une écharpe de cendre ;
Chaque étoile qui naît te parle d’un retour,
Et tu sens dans ton âme un grand espoir descendre.