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Une atmosphère obscure enveloppait mes yeux,
Et mon âme lointaine
Fuyait, hors du réel, gouffre silencieux,
De son aile d’ébène.

Or soudain délivré de l’espace et du temps,
Qui ne sont qu’apparences,
Simulacres grossiers, cadres inconsistants
Des humaines sciences,

Le Rêve ni apporta la clef de ma prison,
Et ma mort éphémère
Déchira le rideau tendu par la raison,
Durant la vie amère.

Esprit désincarné, sans le secours des yeux,
Sans l’aide des oreilles,
Je vis et j’entendis des tableaux merveilleux,
Des hymnes sans pareilles :

Loin du siècle orgueilleux qui ne croit qu’en la chair.
Et que l’or seul attire,
Je vis, près de l’Autel, paré de byssus clair,
La Croix, sœur de la Lyre.

La femme m’apparut au service de Dieu,
Sous les voûtes romanes,
Vestale baptisée au grand cœur tout en feu,
Dans des lins diaphanes.

Je la vis méditer aux clartés des vitraux,
Ou, divinement ivre,
Ébranler savamment les claviers magistraux,
Et feuilleter le Livre.

J’accompagnai ses pas dans les cloîtres jaloux,
Je contemplai ses gestes,
Et je la vis offrir à son unique Époux
L’ardeur des lys agrestes.

Dans un songe fragile aussi prompt que l’éclair.
Je vécus des années ;
Et la foi me rendit, en cet âge de fer,
Les heures fortunées.