Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et son prestige ; elle étouffe maintenant sous l’étreinte bureaucratique ; chaque jour, la vie se retire d’elle... Le peuple considère de plus en plus ses prêtres comme des fonctionnaires, des tchinovniks, des policiers, dont il se détache avec mépris. Le clergé, de son côté, devient une caste fermée, sans dignité, sans instruction, sans contact avec les grands courants du siècle. Pendant ce temps, les classes supérieures tournent à l’indifférence religieuse, tandis que les âmes éprises d’ascétisme ou de mysticisme cherchent à se satisfaire dans les aberrations des sectes. Bientôt, il ne restera plus à l’Église officielle que son formalisme, ses rites, ses cérémonies somptueuses, ses chants incomparables : elle sera un corps sans âme.

— Somme toute, dis-je à S..., Pierre-le-Grand concevait le rôle de ses métropolites comme Napoléon Ier définissait celui de ses archevêques, le jour où il déclarait en plein Conseil d’État : « Un archevêque, c’est aussi un préfet de police. »

— Exactement !


Pour illustrer la conversation que je viens de transcrire, voici quelques détails sur la condition matérielle et morale du clergé russe dans les campagnes.

Le curé de village, le sviatchénik ou, plus familièrement, le batiouchka, est presque toujours un fils de pope, il appartient donc par sa naissance à la caste sacerdotale. Obligé de se marier avant l’ordination, car le célibat est réservé aux moines, il épouse d’habitude la fille d’un prêtre. Et ce mariage, qui achève de l’inféoder à sa caste, le sépare encore plus des paysans.

L’exercice de son ministère paroissial l’occupe fort peu. Il ne célèbre la messe que le dimanche et les jours fériés. Il n’est pas astreint à la lecture du bréviaire. Il ne siège guère qu’une fois l’an au tribunal de la pénitence, les Russes ne communiant qu’à Pâques, après une confession très sommaire, une vague effusion de repentir, que les pénitents, à la file, murmurent debout devant le prêtre, dans un coin de l’église, et qui est aussitôt couverte par l’absolution. Le sviatchénik ne connaît pas non plus le souci de préparer les enfants à la première communion, puisqu’ils reçoivent l’eucharistie dès le baptême. Enfin, ce n’est pas l’usage qu’il intervienne dans la vie privée de ses paroissiens pour leur faire entendre des conseils de morale ou diriger leur conscience.