Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le dégoût de la guerre et cette oblitération du sentiment patriotique qui va jusqu’au souhait de la défaite. Mais chez les paysans illettrés, chez les moujiks ignorants, la dépression n’a-t-elle pas une cause indirecte et inconsciente, une cause toute physiologique, — l’interdiction de l’alcool ? On ne change pas impunément, par un acte brusque, la nutrition séculaire d’un peuple. L’abus de l’alcool était certes un danger pour la santé physique et morale des moujiks ; la vodka constituait néanmoins un facteur important de leur nourriture, l’aliment excitant par excellence, aliment d’autant plus nécessaire que la valeur réparatrice de leurs autres aliments est presque toujours inférieure à leurs besoins. Mal nourri, privé de son stimulant habituel, le peuple russe est de plus en plus sensible aux émotions dépressives. Pour peu que la guerre dure, il deviendra névrosé. Ainsi, la grande réforme d’août 1914, si généreuse dans son inspiration, si salutaire dans ses premiers effets, semble tourner au détriment de la Russie.



Jeudi, 25 novembre.

Le dernier acte de la tragédie serbe approche de l’épilogue. Tout le territoire national est envahi et même débordé. Les Bulgares sont déjà aux portes de Pritzrend. Épuisée par des efforts sublimes, la petite armée du voïvode Poutnik se retire sur l’Adriatique, à travers les montagnes albanaises, par des chemins défoncés, au milieu de tribus hostiles, sous une aveuglante tourmente de neige ; ainsi, en moins de six semaines, l’État-major germanique a réalisé son plan, qui était d’ouvrir une voie directe entre l’Allemagne et la Turquie par la Serbie et la Bulgarie.

Pour soulager sa conscience, pro remedio animæ suæ, l’empereur Nicolas fait attaquer opiniâtrement les Autrichiens en Volhynie, près de Tsartorysk, mais sans résultat.



Mardi, 30 novembre.

Un des caractères moraux, que j’observe couramment chez les Russes, est leur promptitude à la résignation, leur docilité à s’incliner devant la mauvaise fortune. Souvent même, ils n’attendent pas que l’arrêt du Destin soit prononcé : il leur