Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près du chevet du lit. L’Empereur demande si tout est prêt. Il sort de son lit, passe sa robe de chambre, chausse ses pantoufles, et soutenu par Montholon et par Marchand, il arrive à grand’peine jusqu’à son lit, disant : « Je n’ai plus de forces, me voilà sur la paille. » Tout de suite on apporte « le second lit de campagne, dans l’angle du salon, près de la porte communiquant au billard. » Car, même dans ces derniers jours, l’Empereur, soutenu par ceux qui le veillaient, allait d’un lit à l’autre, cherchant le sommeil.

Durant cette nuit du 28 au 29, où l’Empereur ne dormit point, il dicta à Montholon, puis à Marchand, deux morceaux intitulés : Première Rêverie, Seconde Rêverie. La seconde contenait « une organisation des Gardes Nationales, dans l’intérêt de la défense du territoire. » Montholon, dépositaire de ces dictées, les égara. C’étaient les dernières pensées de l’Empereur : elles étaient pour la France.

On assure que, dans la matinée du 29, il aurait eu la pensée de rédiger un huitième codicille ; la faiblesse l’en eût empêché. Or, ce matin même, il rédigea deux lettres adressées à Laffitte et au baron de La Bouillerie, pour le règlement de ses comptes ; ces lettres, quoique portant la date du 25, sont réellement du 29, ainsi que Marchand a pris soin de l’attester.

Dans la nuit, il ne parla que de son fils. Sa parole était souvent embarrassée ; des confusions se produisaient dans son esprit au sujet des biens de Corse dont il avait, depuis plus de dix ans, disposé en faveur des siens.

Le 30, on parla d’un vésicatoire à poser sur l’estomac, le cautère ne jetant plus. Antommarchi comprit à la fin que l’Empereur mourait. Il demanda à coucher dans la Bibliothèque où il fit porter son lit. Napoléon, qui avait daigné lui pardonner, l’entretint de son autopsie. Il lui enjoignit « de bien examiner, lorsqu’il l’ouvrirait, l’état de son estomac, pour préserver son fils d’une maladie qui avait entraîné son père et lui au tombeau. » Il eut des instants d’assoupissement, mais, au réveil, il était parfaitement lucide. Il permit que Mme Bertrand vînt le voir, car il ne l’avait plus voulu, depuis qu’elle avait manifesté la volonté de quitter Sainte-Hélène. Il fit demander quelles sortes d’oranges le maître d’hôtel avait rapportées de la ville ; il demanda ce qu’on y disait de lui. Les petites choses l’intéressaient toujours, et il s’en occupait. « Dans la journée, ses yeux