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tout entier ; il renferme, avec l’histoire de sa vie, ses amitiés et ses amours ; il désigne les hommes qui ont souffert pour sa cause, et qui se sont sacrifiés pour sa gloire. Il est le résumé le plus complet de son histoire.

Le 22, il signe tous les états qui lui ont été présentés. Les boîtes et les tabatières restent à inventorier. Il demande à Marchand la cassette qui les renferme, et il en dicte la liste. Il choisit une boite ornée d’un très beau camée qui lui a été donnée par Pie VI, après le traité de Tolentino. Il écrit lui-même de sa main, sur une carte : Napoléon à Lady Rolland, témoignage d’estime et d’affection. Montholon remettra cette boîte à Lady Holland, et, par ce simple mot, l’Empereur sort cette femme du peuple anglais, il lui donne place dans son histoire, dans l’Histoire.

Il choisit pour le docteur Arnott une autre boite en or, à laquelle M. de Montholon joindra 12 000 francs. La boite porte sur le couvercle un cartouche allongé où sont figurées des grappes de raisin ; au centre est un écusson vide. L’Empereur, tout en disant à Marchand qu’on y fasse graver l’initiale de son nom, a pris des ciseaux et, de la pointe, il a tracé un N. malhabile. Cet N. rend la boîte inestimable, Arnott et ses descendants en jugeront ainsi.

Il dicte ce matin-là à Marchand les instructions pour les exécuteurs testamentaires, où, par la netteté des chiffres, par la précision des allégations, par l’étonnante énumération des faits, sans relation des uns aux autres, il fournit, pour chacun, une décision, un ordre, une indication, qui suffisent à la direction de tous les êtres qu’il nomme, à la solution de toutes les affaires qu’il veut qu’on engage.

Ce même jour, où il a dicté les instructions qu’il signera seulement le 26, quand Marchand les lui présentera remises au net, il veut fermer lui-même les trois boîtes qui renferment ses tabatières ; il les entortille de faveurs vertes, les scelle de ses armoiries, et en remet les clefs à Marchand qu’il en établit dépositaire. A chaque instant, le travail est interrompu par des vomissements. Il se sent extrêmement fatigué, mais il veut en finir ; il exige qu’on lui donne un verre de vin de Constance : tout aussitôt, la douleur est atroce. « C’est, dit-il, une lame de rasoir qui me coupe en glissant. » Les vomissements redoublent, mais il poursuit sa tâche.

Il ne retient guère les médecins, mais le grand-maréchal,