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Quand Arnott vient à quatre heures, et que l’Empereur lui dit que, pour se donner du ton, il a pris du vin de Constance avec un biscuit : « C’est absolument de l’huile sur le feu, » dit Arnott. L’Empereur demande alors « dans quelle chance il est placé. » Arnott cherche ses mots : « Docteur, dit l’Empereur, vous ne dites pas la vérité, vous avez tort de vouloir me cacher ma position, je la connais. » Et il parle de Larrey et de Corvisart. Il revient souvent à Larrey. « Si l’armée, disait-il, élève une colonne à la Reconnaissance, elle doit l’élever à Larrey. »

Il passe encore les matinées du 17 et du 18 enfermé avec Montholon. Dans la matinée du 19, il règle tous les détails du retour de ses compagnons en Europe. « Il passa en revue les provisions existantes, et qui pouvaient être transportées à bord, pour servir à leur traversée ; les moutons qu’on tenait à l’écurie n’étaient même pas oubliés. »

La nuit du 19 au 20 avait été mauvaise ; mais, dans l’après-midi, lorsque Bertrand vint, l’Empereur fit chercher l’Iliade, et dit au grand-maréchal de lui en lire un chant : « Homère, dit-il, peint si bien les conseils que j’ai tenus souvent la veille d’une bataille, que je l’entends toujours avec plaisir. » Plus tard, dans la journée, il dit à Marchand d’aller chercher chez le grand-maréchal un testament qu’il lui avait confié jadis et de le lui rapporter. Il le décacheta, en parcourut les pages, qu’il déchira en deux, disant à Marchand de les mettre au feu.

Quand Arnott vint, il se laissa aller au plus violent discours contre le Gouvernement anglais. Bertrand traduisait phrase par phrase. Il termina en disant : « Vous finirez comme la superbe République de Venise, et moi, mourant sur cet affreux rocher, je lègue l’opprobre de ma mort à la Famille Royale d’Angleterre. » C’étaient presque les termes dont il s’était servi dans son testament.

Nul n’a mieux peint son état à ce moment, que Montholon, lequel dit à l’officier d’ordonnance : « Toute sa force semble être passée de son corps dans sa tête. Il se rappelle maintenant toutes les choses des anciens jours. Il n’a plus de stupeur, sa mémoire est revenue, et il parle continuellement de ce qui aura lieu à sa mort. »

Le testament qu’il venait d’écrire, — d’écrire par deux fois, en entier, de sa main, à l’exception des états, copiés par Marchand, — ce testament raconte, explique, commente Napoléon