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de votre régiment. Si j’ai consenti à vous voir, ajoute-t-il, c’est pour la satisfaction des personnes qui m’entourent, et que vous avez l’estime des officiers de votre régiment. » Puis, de la considération qu’il professe pour « les habits rouges, » il passe aux sentiments qu’il a voués au Gouvernement britannique. « Je vais, dit-il, écrire au Prince Régent, et à vos ministres. Ils ont voulu ma mort. Ils sont au moment de l’obtenir après m’avoir assassiné à coups d’épingles. Je désire que mes cendres reposent en France. Votre gouvernement s’y opposera, mais je lui prédis que le monument qu’il m’élèvera sera à sa honte et que John Bull sortira de dessous mes cendres pour abattre l’oligarchie anglaise. La postérité me vengera du bourreau commis à ma garde, et vos ministres mourront de mort violente. »


Et l’on pense alors au suicide de Castleareagh, comme à l’extinction de la dynastie de Hanovre. Pour le reste, les temps ne sont pas venus.


Le don de ce livre amena de la part du major Jackson, commandant le 20e, et de la part de Lowe, une série d’imputations dirigées en fait contre l’Empereur. De cette belle idée si noblement exprimée, on avait, contre un mourant, tiré la trame d’un complot.

Lorsque Napoléon avait prononcé le nom de Marlborough, Antommarchi avait ri. L’Empereur, qui l’avait regardé d’un œil sévère, lui adressa le lendemain « de vifs reproches sur la légèreté de son caractère ; le docteur chercha à s’excuser sur le souvenir qu’avait fait naître en lui une chanson avec laquelle il avait été bercé. » Sur le moment Napoléon n’insista pas : toutefois, il est peu vraisemblable qu’on chantât Malbrouck en patois corse.

Après la visite d’Antommarchi, l’Empereur resta enfermé avec Montholon et se mit à écrire. Deux fois Marchand fut appelé pour des vomissements ; il enveloppa les pieds de son maître de serviettes chaudes. L’Empereur demanda de ce vin de Constance que Las Cases lui avait envoyé du Cap de Bonne Espérance ; on essaya en vain de le lui déconseiller ; il persista, en prit un verre, y trempa un biscuit ; et à Montholon qui lui dit que rien ne pressait : « Mon fils, répond-il, il est temps que je termine, je le sens. » Assis dans son lit, il tient d’une main une planche de carton et il écrit de l’autre, sans être appuyé sur rien. Le comte de Montholon, debout, près du lit, tient l’encrier, »